Réactions d’un graffiteur

Tags et graffiti au métro Sherbrooke

Martin Ouellet | Dossiers Graffiti, Hip-Hop

Dans la nuit du dimanche au lundi 1er septembre 2002, un groupe de graffiteurs a couvert de graffitis, de tags et de personnages les murs de la station de métro Sherbrooke.

D’après la porte-parole de la Société de Transport de Montréal (STM), Odile Paradis, les artistes de l’illégal se seraient laissés enfermer dans la station à la fermeture, afin de tapisser les murs des deux côtés de la voie.

En tout, la STM estime à près de 50 000$ la facture pour le nettoyage de cette seule station, ce qui a dû se faire dans un délai extrêmement rapide, vu le caractère obscène de certains graffitis. En effet, le règlement de la STM stipule que tout graffiti de nature sexuelle ou raciste doit être effacé dans un délai de 24 à 48 heures. Parmi les signatures reconnaissables, on retrouve celle de Lison, un graffiteur très actif et déjà recherché par les autorités pour d’autres actes de vandalisme. Les œuvres les plus dérangeantes représentaient d’immenses vibrateurs, portant la signature de Lison, accompagnés du slogan «dans l’cul» et d’autres messages de provocation envers les usagers du métro et les autorités, comme «allo la poliss», «rien à foutre» et «find me». Les enquêteurs du service de police de la Ville de Montréal étudient les bandes vidéo des caméras de surveillance pour tenter d’obtenir des indices, mais jusqu’à maintenant aucun suspect n’a été appréhendé.

Le Café-Graffiti se bat depuis sa création pour combattre les préjugés liés au graffiti, favoriser son acceptation dans la société et négocier l’obtention de murs légaux à Montréal. Le Journal de la Rue a interrogé le directeur des arts visuels du Café-Graffiti, Julien Cloutier, afin de connaître ses impressions sur cette histoire.

Quelle a été ta réaction quand tu as entendu parler de ce qui s’était passé au métro Sherbrooke?

Julien Cloutier: J’ai eu une réaction assez partagée. Sur le coup, je me suis dit: «Ils sont courageux, ils ont du guts d’avoir fait ça!». Quand un graffiteur ou un crew fait un coup d’éclat de cette ampleur-là, ça provoque l’admiration des autres graffiteurs parce qu’à l’origine, c’est comme ça que se pratique le graff, de façon clandestine, illégale. Personnellement, je n’oserais pas faire ça. Mais je comprends que d’autres aient envie de le faire, même si mon rôle est d’encourager les artistes à travailler dans la légalité.

D’après toi, ce qu’ils ont fait, c’est de l’art ou du vandalisme?

Julien Cloutier: C’est sûr que c’est du vandalisme, mais ça n’empêche pas que ça puisse être artistique en même temps. Les pièces que j’ai vues dans les journaux et aux nouvelles télé démontraient une maîtrise, un talent, qui prouvent qu’on n’a pas affaire à des débutants. Les lettrages étaient bien tracés, complexes et les personnages, de style bédé, très beaux aussi. Ce ne sont pas les œuvres les plus réussies que j’ai vues dans ma vie parce qu’on sent qu’ils étaient pressés de travailler, qu’ils se dépêchaient de finir, mais c’est définitivement un travail de pros.

Qu’as-tu pensé de la couverture médiatique?

En général, les médias ont trop insisté sur le côté scandaleux des œuvres, ils sont tombés dans le sensationnalisme. Les journalistes se disent choqués par les graffs à connotation sexuelle, mais ce sont toujours ceux-là qu’ils montrent, au lieu de montrer les plus artistiques, ceux moins controversés. C’est paradoxal, parce que le règlement de la STM les oblige à nettoyer dans les 48 heures pour pas exposer les graffs aux usagers, mais on les voit à la une de tous les journaux et aux infos télé! En plus, ils jouent exactement le jeu des graffiteurs, qui, en défiant les autorités et en bombant des affaires obscènes, ne cherchent qu’à attirer l’attention, à avoir leur minute de gloire. Ils l’ont eue.

Qu’ont voulu exprimer ces graffiteurs?

Julien Cloutier: C’est juste un coup d’éclat, pour se faire remarquer, pour la réputation. Le graffiti, c’est quelque chose de très égocentrique. Les artistes se connaissent entre eux, ils connaissent les signatures des autres. Alors, ça impressionne, des actes comme ceux-là. Il faut transgresser les interdits. Plus le danger est grand, plus c’est spectaculaire, plus t’es admiré.

Est-ce que des incidents comme ça peuvent nuire à la réputation du graffiti dans l’opinion publique?

Julien: Je ne crois pas. Ceux qui aiment le graffiti ont “trippé” et ceux que ça dérange savent très bien que le lendemain, la STM va avoir tout effacé. Les gens se sentent moins concernés quand ça arrive pas chez eux, quand c’est dans un endroit public. Après tout, il y a de nouveaux graffs chaque jour un peu partout à Montréal, sans qu’on en entende parler, sauf que là, vu l’endroit et l’achalandage, ça a fait un scandale. En temps normal, le public a même pas le temps de voir les graffitis dans le métro avant qu’ils soient enlevés. D’ailleurs, j’ai trouvé ça bien sympathique de lire dans La Gazette qu’un employé (anonyme) de la STM avait déclaré: «Je dois avouer que c’est très artistique. Ce n’est peut-être pas la place pour le faire, et je suis sûr que la STM n’est pas contente, mais j’aime mieux ça que les murs blancs très ennuyants..». Un usager du métro a aussi affirmé: «C’est bien mieux que la publicité qu’ils nous mettent partout à la station Berri ou ailleurs.

Pourquoi certains artistes du graffiti préfèrent-ils travailler dans l’illégalité?

Julien Cloutier: Pour le défi, l’excitation de transgresser les règles. Pour plusieurs graffiteurs, se faire offrir un mur légal, ce n’est plus un défi car il n’y a plus de danger. Ils peuvent y aller quand même, mais ce n’est pas pareil. C’est pour ça que beaucoup de graffiteurs qui travaillent sur les murs légaux font aussi du graffiti illégal en parallèle.

En tant qu’employé du Café-Graffiti, tu fais la promotion des murs légaux à Montréal. Crois-tu que ce qui est arrivé au métro peut nuire à tes négociations avec la Ville?

Julien Cloutier: Pas vraiment. Les clients, que ce soient des commerçants ou des particuliers, qui veulent une murale, sont prêts à payer. Alors, ils vont engager des graffiteurs quand même. Les représentants de la Ville avec qui nous faisons affaire savent très bien que les murs légaux ne vont pas enrayer complètement l’illégal. Nous voulons réduire le vandalisme, mais nous n’avons jamais eu l’illusion que nous pouvions l’éliminer complètement, ce serait utopique. Éduquer et sensibiliser les gens, ça ne se fait pas du jour au lendemain.

La STM et les médias ont repété à plusieurs reprises que les frais de nettoyage s’élevaient à plus de 50 000$ et que cet argent aurait pu être mieux utilisé. Qu’en penses-tu?

C’est sûr qu’il y a des coûts. La STM dit que cet argent aurait pu servir à autre chose. Sauf qu’à chaque année, la société de transport augmente le prix des billets et des passes de métro, par contre, on ne voit pas vraiment d’amélioration dans le service. Au contraire: le nombre des wagons diminue, la fréquence des trains aussi, il y a souvent des pannes, etc. C’est facile de jeter le blâme sur quelques graffiteurs pour justifier qu’on n’a pas de fonds pour faire des rénovations et de l’entretien, mais je me demande si ça correspond à la réalité. Est-ce que les graffiteurs ne serviraient pas de boucs émissaires pour justifier l’inaction de la STM? Une dernière question me vient en tête: si les graffiteurs avaient peinturé des fleurs et des câlinous au lieu de dildos et de tags, est-ce que le public et la STM auraient autant protesté? Pourtant, le nettoyage aurait coûté aussi cher…

Les journalistes se sont demandé comment les graffiteurs avaient déjoué la surveillance du métro pour commettre leur geste. Penses-tu que la STM prend les bons moyens pour décourager les vandales?

Julien Cloutier: Je ne pense pas que la sécurité soit aussi présente qu’ils le prétendent. À la station Sherbrooke, justement, la seule caméra de surveillance est braquée… sur la cabine du changeur! En plus, durant la nuit, il n’y a pas de personnel de sécurité, alors…difficile de dire si les graffiteurs se sont laissés enfermer après la fermeture ou s’ils ont trouvé un moyen de pénétrer dans la station. Encore là, permettez-moi de m’interroger: si la STM ne juge pas nécessaire d’avoir de la sécurité la nuit, est-ce parce que c’est moins coûteux d’effacer les traces de vandalisme que de le prévenir?

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