Le TA Wall

Lieu mythique des graffiteurs montréalais, le TA Wall est une véritable galerie d’art à ciel ouvert. Le mur pourrait bientôt être inaccessible, craignent des graffiteurs. La transmission des connaissances sur le graffiti et la complicité qui les unit telle une communauté sont menacées.

Charles Messier | Dossiers Graffiti, Sterling Downey

À l’hiver, pour se rendre au TA Wall, le visiteur doit franchir une clôture métallique accessible par les rues Saint-Antoine et Lenoir dans le quartier du métro Lionel-Groulx. «Avant, y’avait pas de problème. C’était beaucoup plus ouvert», raconte Fluke, guidant une visite du lieu. Après, il doit gravir une butte en s’agrippant à des morceaux de métal pour ne pas glisser sur de la glaise. Le TA Wall se profile. Sa splendeur est digne d’une galerie d’art des plus imaginatives.

Le mur présente des œuvres qui se suivent sans espacement. Elles sont aussi élevées que la hauteur atteinte par les bras tendus des graffiteurs et aussi longues qu’une Cadillac. Derrière le TA Wall, il y a l’autoroute Ville-Marie. Devant, des bâtiments abandonnés. Par exemple, une usine sans fenestration. «On a enlevé les fenêtres récemment pour pas qu’on vienne squatter ou faire des feux», croit le guide.

À l’ombre des condos

nixon-graf-ta-wall-graffitiBientôt, des condos pourraient y être construits, s’inquiète Fluke. Pour lui, ce serait la fin du mur; la police ne tolérerait aucun graffiteur. «Il y a quelques années, dans le coin de Pointe-Saint-Charles, c’est arrivé à un endroit qui s’appelait la Redpath, une raffinerie de sucre. Il y avait aussi le Jenkins à Lachine, qui a aussi été démoli. C’est le TA Wall qui a pris la relève.» Craignant que le mur ne devienne inaccessible, les graffiteurs multiplient leur visite au célèbre mur, explique Fluke. «C’est comme quelqu’un qui fait du kayak et qui apprend que sa rivière va disparaître. Il va en faire une dernière shot le plus tôt possible!»

La Redpath, le Jenkins et le TA Wall ont tous une valeur mythique dans le hip-hop montréalais, le graffiti étant un des volets de cette culture, avec le rap, le breakdancing, et le DJ. Un pan de l’histoire du graffiti et de l’art urbain s’est achevé avec la disparition des 2 premiers endroits. Ils constituaient des lieux de rassemblement et de socialisation de jeunes. Des touristes venaient de par le monde admirer le travail des graffiteurs.

Un mur comme le TA Wall, deux fois plus long qu’une allée de quilles, permet aux artistes de la canette d’établir des critères esthétiques et de déterminer des règles communes. Un jeune graffiteur apprend par exemple auprès des plus vieux qu’il ne peut pas graffiter des églises et des voitures. Le «TA», comme le nomment ses adeptes, est également un catalyseur pour la communauté du graffiti. «Souvent, les gars amènent de la bière, des radios, raconte Fluke. On fait même des barbecues sur le toit de l’usine abandonnée, située juste en face. Des fois, l’été, quand il fait beau, tu peux aller là et il y en a 20 qui peinturent en même temps.»

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Fuir pour mieux revenir

Selon les années, les policiers permettent ou interdisent aux graffiteurs de peindre sur le TA Wall, avance Fluke. «Y avait des policiers qui venaient des fois, qui nous parlaient, et qui ne nous arrêtaient pas. Y voyaient bien qu’on ne brisait pas de bouteilles de bière et qu’on faisait juste faire ce qu’on aime. On dirait que ça dépend si la police est occupée ou pas… D’autres fois, y descendaient icitte, pis y partaient à courir après tout le monde. Y mettaient des menottes sur tous les graffeurs et y leur donnaient des amendes.»

Fluke est un adepte de la course à pied lorsqu’il voit arriver un policier, mais il est conscient que cette technique comporte le risque de se blesser en raison des nombreuses pentes et obstacles du lieu. La police a dû s’adapter, selon Fluke. «Pour mieux nous pogner, y’ont fait venir un bulldozer qu’y a fait un chemin derrière le TA Wall pour que les chars de police puissent se rendre.»

Un nouveau TA Wall

À une centaine de mètres de l’endroit se trouve un autre mur investi par les graffiteurs. Il est aussi imposant que le premier. Les graffitis y sont cependant moins achevés. Cette impression devrait se résorber au fur et à mesure que les moins beaux graffitis seront recouverts par d’autres d’une plus grande qualité esthétique.

Cet autre mur, plutôt en retrait des terrains où risquent d’être construits des condos, pourrait devenir un endroit aménagé et légal pour laisser libre cours aux élans artistiques. «Je suis convaincu que la Ville peut faire quelque chose de bien ici, confie Fluke. Ajouter des lampadaires, aménager une piste cyclable… Ça pourrait être le même esprit que le TA Wall.» Selon lui, ce nouveau mur est essentiel pour les graffiteurs. «Si le TA Wall n’existe plus, il ne restera que quelques endroits légaux. Mais, pour le nombre de graffeurs qu’il y a à Montréal, c’est pas assez.»

Prospecter pour graffiter

Seaz, découvreur du mur, n’est pas de ceux qui tiennent à tout prix à la sauvegarde du TA Wall. «Le monde en parlera toujours, il y aura toujours des photos. C’est entré dans l’histoire. Si le mur n’est plus accessible, il sera encore plus mythique. Ce sera alors aux nouveaux graffeurs de découvrir de nouveaux endroits et de les nommer.»

Fluke n’est pas convaincu qu’il serait évident de trouver un lieu aussi rassembleur et qui permet de s’exprimer aussi librement. «Ce sont des places comme ça qui permettent aux graffeurs de se rencontrer. Sans le TA Wall, il n’y aurait presque plus d’endroits où faire des graffs de belle qualité.»

Seaz est encore nostalgique de l’époque où il sillonnait la ville pour trouver de nouvelles surfaces où laisser sa trace. «Dans mon temps, on devait chercher et découvrir des endroits cachés pour peinturer, où c’était juste une poignée de personnes qui venaient. Aujourd’hui, le monde veut peinturer dans des endroits déjà découverts, dans des endroits faciles. Ils veulent pas aller découvrir.

Tié-ouâle

TA Wall se prononce avec l’accent anglophone en détachant le «T» du «A»: T-A-Wall. Cette expression signifie «Team Autobot Wall» (mur du groupe Autobot), en référence au personnage principal du dessin animé Transformers. Cette série mettait en scène des robots pouvant adopter une posture humaine ou se transformer en objet. C. M.

Premiers jets

Seaz est le premier à avoir laissé sa trace sur ce qu’il a nommé avec Stack et Maink le «TA Wall», en 1995. «Il avait l’avantage d’être long mur beaucoup d’espace pour peindre, raconte-t-il. C’est un endroit plutôt tranquille. La chance de se faire prendre par la police était assez faible, même si c’est arrivé souvent. Il a aussi l’avantage d’être accessible, parce que c’est près du métro Lionel-Groulx.» Le lendemain de sa découverte, il y est retourné avec 4 autres graffiteurs qui se le sont appropriés en le peignant d’un bout à l’autre. «J’aurais jamais cru en le nommant ainsi il y a 12 ans que ça allait durer aussi longtemps.»

En 1995, une dizaine de graffiteurs venaient au moins une fois par mois. En quelques années, le TA Wall est devenu un endroit aussi populaire que les 2 ou 3 autres les plus fréquentés à cette époque. Alors que le graffiti commençait à émerger à Montréal, ce mur a favorisé le regroupement des artistes de la canette. «Au début, les graffeurs ne se connaissaient pas, mais à force de se croiser là, ils ont formé un crew [groupe], explique Kaséko, un des premiers artistes du mur. Le TA Wall est un des endroits qui a permis à beaucoup de graffeurs de se rencontrer.»

«Y’a du monde de partout sur la planète qui vient ici, explique Fluke. Par exemple, ici, y’a un graff d’Allemands. Y sont descendus à Montréal pour faire un petit quelque chose. Le TA Wall, c’est la place. Tous les graffeurs à Montréal le connaissent. Mais, plus que ça, beaucoup d’étudiants en photographie et en art viennent y observer les graffs.»

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