Dominic Desmarais | Dossier Gang de rue

Le phénomène des gangs de rue s’amplifie à Montréal, touchant 10% des jeunes. Apparus dans les années 1980, ces groupes partent désormais à la conquête de la province. Ils attirent des jeunes rêvant de pouvoir et de richesse.

Le visage fraîchement rasé, les cheveux coupés courts, la chemise soigneusement repassée, l’inspecteur-chef Jean Baraby, de la police de Montréal, ressemble au bon père de famille typique. Seule la présence d’une attachée de presse dans son bureau rappelle la délicatesse du sujet. Le phénomène des gangs de rue, c’est du sérieux. De sa voix chaleureuse, le policier transmet ses connaissances: «Dans les années 1980, c’était des ados. C’était des batailles en dehors des écoles, dans les parcs. Il n’y avait pas d’activités criminelles. Si je fais un parallèle, dans les années 1960–1970, les francophones se battaient contre les anglophones.»

Prévention gang de rue dans les écoles

Alain Clément est également policier. Depuis cinq ans, tous les mercredis, il se rend à l’école secondaire Henri-Bourrassa pour prévenir les élèves de secondaire I des méfaits d’adhérer aux gangs de rue. «Avant, tu pouvais trouver un gang qui volait des voitures. Ils ne faisaient pas d’argent. Ils se sont rendus compte qu’il y avait de l’argent à faire et ont dit aux plus jeunes comment faire.» Mais voilà, ces jeunes de la première génération ont vieilli, se sont endurcis. Ils ont emprunté la voie de la criminalité, offrant de nouveaux modèles pour les jeunes frères, les cousins. «Maintenant, tu peux faire carrière dans les gangs de rue. Il y a des modèles. Les plus jeunes regardent ça et se disent “wow, je peux faire comme eux!’’, explique l’inspecteur Baraby. Les jeunes se réunissaient par besoin de valorisation, par désir de constituer une famille. Les intervenants pouvaient alors combler leur besoin d’affection. Les choses ont évolué, le roi dollar a pointé le bout de son nez. «La valeur, aujourd’hui, c’est l’argent. Le jeune a tout ce qu’il veut dans la vie. Il est millionnaire. Il a les filles, la drogue. Comment dire au jeune qu’il est un mauvais modèle?», explique Harry Delva, coordonnateur des projets jeunesse à la Maison d’Haïti depuis 13 ans. L’homme en connaît un rayon. Il s’occupe d’un projet de patrouilleurs de rue composé de jeunes dont certains ont flirté avec des gangs. Ils essaient de conseiller leurs pairs dans le quartier Saint-Michel à Montréal.

M. Delva reconnaît qu’il est aujourd’hui plus difficile de ramener les membres de gangs dans le droit chemin. «Entre 1997 et 2000, des jeunes, qui ne faisaient pas nécessairement partie de gangs, se sont enrichis avec des fraudes. Ils ont encouragé nombre de jeunes ayant envie d’adhérer à un gang. Maintenant, ces jeunes ne cherchent plus une famille mais une richesse, explique M. Delva. En voyant des jeunes qui ont réussi, les gangs se sont dit qu’ils pouvaient y arriver.»

Les jeunes à risque d’adhérer à un gang de rue

Quel jeune éprouve le besoin de s’intégrer à un gang? À en croire l’inspecteur Baraby, tous les jeunes sont susceptibles d’être recrutés. Chantal Fredette, criminologue et spécialiste des gangs de rue au Centre jeunesse de Montréal, apporte des précisions. Les plus à risque viennent de familles dont l’un des membres fait déjà partie d’un gang. Une très grande majorité des jeunes qui ont déjà des problèmes y trouvent leur niche, explique la chercheure. «Le défi, c’est d’identifier, parmi les jeunes des gangs, les 10 à 20% qui vont constituer le noyau dur, qui sont très criminalisés. Un des facteurs, c’est la précocité. Celui qui fréquente tôt les gangs, par exemple à neuf ans, va être plus à risque. Le 10% du noyau dur a la perception que la vie est dangereuse, qu’il y a deux côtés: les gagnants et les perdants. Pour gagner, il faut imposer», s’exclame la jeune femme tout en gesticulant. «Pour une minorité de jeunes au Québec, en 2005, le gang de rue offre une meilleure perspective de vie que tout autre chose», constate la criminologue qui a rencontré une trentaine de ces jeunes pour rédiger un rapport sur le sujet.

Violence extrême et gang de rue

L’univers des gangs est extrêmement violent, a observé Chantal Fredette dans ses recherches. Il faut être tolérant à la violence pour supporter ce climat. Il y a un 20% des jeunes qui ont cette tolérance», note-t-elle.

Dans ses visites à la polyvalente Henri-Bourrassa, le sergent Alain Clément a senti lui aussi l’apparition de ce problème: «Depuis les 5 dernières années, je constate autant d’événements, mais ils sont de plus en plus violents.» L’accès facile aux armes expliquerait l’intensité des altercations. «C’est plus facile pour eux d’acheter une arme qu’un paquet de cigarettes», dit Harry Delva d’un ton détaché de celui qui a tout vu. Les jeunes ont les moyens de s’outiller. D’autant plus qu’ils ont un réseau de drogue, de prostitution, d’extorsion à protéger.

«Ça ressemble au temps d’Al Capone. Ce qu’on voit, ce sont des règlements de compte entre gangs pour un territoire. Maintenant, ils sont partout. Parce que les motards ont libéré certains secteurs, les gangs de rue décident d’occuper et d’agrandir leurs territoires. Quand ils se rencontrent au centre-ville, ils se tirent dessus», décrit M. Delva.  Accroupi, les coudes sur les genoux, il se relève, esquissant une mimique d’impuissance. Attirés par le gain, les gangs de rue reluquent les territoires délaissés par les motards, affaiblis à la suite de l’opération policière Printemps 2002 qui a permis de mettre derrière les barreaux plusieurs Hells Angels et Rock Machines.

Gang de rue en région: Gaspésie, Lac St-Jean, Sherbrooke…

Libérés de cette concurrence, les gangs s’exportent. «Ce qu’on constate, c’est que les membres de gangs s’installent en périphérie de Montréal et vont faire des activités plus éloignées comme le trafic de stupéfiants, la prostitution juvénile. On en a retrouvé en Gaspésie, au Lac St-Jean, en Outaouais et à Sherbrooke. Ils ne sont pas encore rendus à s’y installer», avoue l’inspecteur Baraby, qui rajoute du même souffle la mise sur pied d’une escouade de choc. Pour contrer cette expansion, la Police de Montréal, de Laval, la Sécurité du Québec et la GRC ont uni leurs forces.

Cette nouvelle union policière sera-t-elle suffisante pour contrer le phénomène? Probablement pas, de l’aveu de l’inspecteur. «Tant qu’il y aura l’appât du gain, il va toujours y avoir des jeunes qui vont s’y intéresser. On a pas la prétention de penser qu’on va enrayer le problème. Comme la prostitution, on travaille fort, mais on peut pas l’empêcher.» Réaliste, le coordonnateur de la Maison d’Haïti n’en pense pas moins. «C’est un phénomène qui est là pour rester, croit-il. Autour, on a la vente de drogues, la prostitution. C’est de l’argent facile. Ça fait partie de notre société. Mais on peut baisser ça, prévenir, diminuer le nombre de gens qui entourent les gangs.»

Introduction Histoire des gangs de rue

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