La décriminalisation du suicide assisté et de l’euthanasie reviennent souvent dans les commentaires de nos textes sur le suicide, l’intervention auprès de personnes suicidaires et la prévention du suicide. Peut-on faire le même débat pour un adolescent qui veut se suicider après sa première rupture amoureuse ou une personne de 93 ans en phase terminale et qui vit le martyr?
Raymond Viger | Dossier Suicide
Pour faciliter les débats en cours touchant l’intervention auprès de personnes suicidaires et éviter de tout mettre dans un même débat, je présente aujourd’hui un billet qui sera réservé au suicide assisté et à l’euthanasie. En plus de ma position personnelle, j’ai inclus la position d’intervenants qui ont une position contraire à la mienne.
Décriminalisation du suicide assisté et de l’euthanasie
Je suis d’accord avec la décriminalisation du suicide assisté. Cela se fait déjà. Une aide par compassion. En étant illégal, le suicide assisté se fait en cachette. Avons-nous pu offrir tous les services d’aide à la personne qui veut se suicider? Est-ce que toutes les alternatives ont été présentées? Quelles sont les conditions dans lesquelles ces suicides assistés se font? À certaines occasions, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu, causant préjudices ou souffrance inutile.
En décriminalisant le suicide assisté, comme l’ont fait certains pays, cela permet de mettre des balises, de garantir que tout ce qui est envisageable de faire pour conserver ou rallumer un espoir de vie à la personne concernée sera fait.
Cela peut nous garantir qu’un geste de compassion prématurée ne sera pas porté. Éviter qu’un sentiment d’impuissance d’un proche le pousse dans une aide au suicide assisté prématurée. Une façon de briser l’isolement de la personne qui souffre et de son entourage.
L’objectif de décriminaliser le suicide assisté et l’euthanasie n’est pas d’augmenter le nombre de suicide, mais de le diminuer, de retarder l’instant d’un passage à l’acte, d’offrir un encadrement pour s’assurer qu’on va mettre en place tous les moyens pouvant arrêter ou diminuer la souffrance, s’assurer d’aider la personne à apprendre à vivre avec certaines souffrances et surtout, s’assurer que la personne qui veut mourir se donne le droit de changer d’idée.
Brian Mishara, spécialiste reconnu en prévention du suicide
Brian Mishara mentionne que les gens qui veulent se suicider ne veulent pas mourir, ils veulent juste arrêter de souffrir. C’est pourquoi il est contre la décriminalisation du suicide assisté et de l’euthanasie.
Suzette Gill: «Je suis malade. En soins palliatifs. Je trouve que le courage dans l’épreuve a bien meilleur goût! Les perspectives sur la vie prennent autrement de l’ampleur. Je reçois chaque jour nouveau comme un cadeau. Je sais que ma souffrance, encore supportable, a une valeur».
Isabelle Martineau intervenante auprès de personnes en phase terminale
Votre texte, très court, commence ainsi: «Je suis en accord avec la décriminalisation du suicide assisté et de l’euthanasie parce que cela se fait déjà et, parfois, dans des conditions misérables, inhumaines et trop rapides». Sans référence à l’appui, vous y allez d’affirmations qui me semblent plus ou moins justes ou, à tout le moins, étonnantes.
Entre autres, vous mentionnez que la décriminalisation du suicide assisté nous permettrait de garantir «que tout ce qui est envisageable de faire pour conserver ou rallumer un espoir de vie à la personne concernée sera fait»… Je ne saisis pas très bien ce que vous entendez par là. Comment, en «permettant» un acte malheureux, on peut garantir les façons de l’éviter? D’autant plus que la littérature sur le sujet démontre plutôt les obscurs dérapages dans les sociétés qui ont permis le recours au suicide assisté.
En fait, M. Viger, je crois qu’il est question ici de deux problèmes fondamentaux. Le premier touche la problématique de la valeur accordée à la vie humaine. Le second fait référence à l’expérience de la souffrance humaine.
La valeur de la vie humaine…
La vie d’une personne humaine est trop importante pour qu’on puisse y mettre fin impunément et qu’on envisage de légaliser le suicide assisté et l’euthanasie. La première condition pour qu’une personne soit «libre» et qu’elle puisse exercer son autonomie, c’est d’abord et avant tout qu’elle soit en vie. Voilà pourquoi notre société met en place les mesures pour que soit protégée cette vie. Une vie qui a une valeur toute particulière. Comme société, il m’apparaîtrait difficile, voire incohérent, de prétendre «protéger» la vie humaine tout en décriminalisant ce qui lui porte atteinte tel que le suicide assisté et l’euthanasie.
… malgré la souffrance
Est-ce à dire que nous devons demeurer indifférents à la souffrance de nos pairs (ex.: les malades chroniques et incurables) en se rabattant sur la crainte de porter atteinte à leur vie? Bien sûr que non.
Je travaille dans une maison de soins palliatifs, auprès de personnes qui sont en phase terminale du cancer. Chaque jour où j’y travaille, je réalise combien la vie humaine porte son lot de souffrances et combien il nous est nécessaire de travailler très fort pour les soulager. Je ne me ferme pas les yeux à la misère humaine sous prétexte que je crois nécessaire de protéger la vie. Au contraire, je cherche à répondre à l’appel du malade devenu dépendant, en tentant de subvenir à ses besoins et en lui reflétant la dignité qu’il porte.
Mais, la vie humaine continue-t-elle à avoir un sens lorsqu’elle est ébranlée par la souffrance et lorsque la fin est toute proche? Cette question peut être posée devant la personne aux prises avec une maladie incurable. Elle peut être posée aussi devant le jeune de la rue qui a été malmené par ses proches, qui est sous l’emprise de la drogue… Pourquoi renoncerions-nous à accompagner le malade incurable dans sa quête de sens, alors que l’on continue à vouloir raccrocher le jeune à la vie? Uniquement parce que le premier sait «quand» il va mourir? Mais nous allons tous mourir. Le jeune de la rue mourra peut-être demain. Alors à quoi bon se battre? À quoi bon chercher un sens à l’existence?
Ce que mon expérience auprès des malades en fin de vie m’apprend, c’est qu’il existe des petits miracles inattendus chez des personnes «condamnées» par la maladie. Mais il faut, pour cela, leur tendre la main et les accompagner dans ce qu’elles vivent en ne renonçant pas. Certaines personnes verront la lumière, d’autres non. Exactement comme pour les jeunes que vous accompagnez. Mais ce n’est pas parce que des malades mourants renoncent à la vie et ont recours au suicide, qu’il faut pour autant «légaliser» le suicide assisté et l’euthanasie. Au contraire, il faut tenter de l’éviter en recherchant des moyens pour soulager les symptômes dont sont affligés ces malades. Exactement comme on recherche des moyens pour aider et soulager les jeunes qui sont désespérés et suicidaires.
Décriminaliser le suicide assisté est-il une solution?
Avancer que la décriminalisation du suicide assisté est une solution pour quelques catégories de personnes, comme les malades incurables, c’est envoyer un message contradictoire aux jeunes… On leur dit alors que la vie humaine a un sens, mais seulement dans certaines situations… Ça laisse croire que, dans certains cas, le suicide peut être une bonne chose ou un moindre mal.
En maintenant ce double discours, je me demande alors comment on peut continuer de justifier toutes les campagnes pour prévenir le suicide chez les jeunes.
Entre un malade atteint de cancer en phase terminale et un jeune délinquant souffrant de maladie mentale suite à sa consommation de drogues (ce que j’ai connu dans mon entourage), je ne sais pas qui souffre le plus. Il est impossible de «mesurer» la souffrance d’autrui. Considérant cela, pourquoi chercher à discriminer les personnes qui pourraient justifier leur recours au suicide de celles qui ne le pourraient pas? Ces critères, qui deviennent arbitraires, sont à mon sens dangereux et ils permettent vite le glissement. On trempe dans une culture de mort où le suicide devient un acte un peu héroïque face à une situation qui apparaît sans issue. Il est grand temps de promouvoir une culture de vie dans notre société. Et, qui sait, peut-être cela permettra-t-il à certains de nos jeunes de retrouver un sens à leur existence?
Je vous souhaite de continuer encore longtemps votre travail auprès des jeunes. Ils sont notre avenir!
Mises à jour des autres débats sur le suicide assisté et l’euthanasie
Patrick Lagacé, 27 mai 2010 sur le suicide assisté et l’euthanasie.
Radio-Canada, 2 octobre 2009, projet de loi sur le suicide assisté et l’euthanasie.
Document de consultation sur le droit de mourir dignement. (Début des auditions fin de l’été 2010, date limite 16 juillet pour une demande d’audition et pour déposer un mémoire sur la légalisation du suicide assisté).
Direction de la Santé Publique. document sur l’aide au suicide et l’euthanasie.
Document de réflexions de l’Association canadienne des soins palliatifs sur l’euthanasie et le suicide assisté.
Référence de l’article Légaliser l’euthanasie et le suicide médicalement assisté? de Marcel Melançon, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, publié en février 2010 dans la revue Quoi de neuf de l’Association des retraités du Québec (AREQ).
Ressources sur le suicide
- Québec: 1-866-APPELLE (277-3553). Les CLSC peuvent aussi vous aider.
- Canada: Service de prévention du suicide du Canada 833-456-4566 Ligne d’aide 24/7: 988
- France Infosuicide 01 45 39 40 00 SOS Suicide: 0 825 120 364 SOS Amitié: 0 820 066 056
- Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.
- Suisse: Stop Suicide
- Portugal: (+351) 225 50 60 70
Guide d’intervention de crise auprès de personnes suicidaires
Le guide d’intervention auprès de personnes suicidaires démystifie le suicide. Il permet d’aider les proches à reconnaître les signes avant-coureur du suicide et de déterminer qu’est-ce qui peut être fait pour soutenir la personne en crise.
Une section du guide est réservée aux endeuillés par suicide.
Le livre est disponible au coût de 9,95$. Par téléphone: (514) 256-9000, en région: 1-877-256-9009. Par Internet.
Par la poste: Reflet de Société 3894, Ste-Catherine Est, Bureau 12, Montréal, Qc, H1W 2G4
Maintenant disponible en anglais: Quebec Suicide Prevention Handbook.
Autres textes sur le Suicide
- suicide d’un ami
- le processus suicidaire
- le suicide de notre enfant
- guide d’intervention auprès d’une personne suicidaire
- suicide, tentative de suicide et dépression
- suicide des jeunes
- Prévention du suicide et santé mentale
- le suicide au Québec
- survivre au suicide de son enfant
- suicide des personnes âgées: une tentative pour ne plus souffrir
- dépendance affective; causes et conséquences
- intervenir sans faire une dépression
- les cegeps, la détresse psychologique et le suicide
- VIH, sida, homosexualité et suicide
- Suicide des Premières nations
- Test sanguin anti-suicide!
- La maladie des émotions
- Dénoncer son agresseur
- Quebec Suicide Prevention Handbook
- Suicide, une responsabilité de toute une société
- Suicide d’un jeune en centre jeunesse
- Suicide en prison
- ensemble pour prévenir le suicide
Survivre, un organisme d’intervention et de veuille en prévention du suicide et en promotion de la Santé mentale. Pour faire un don. Reçu de charité pour vos impôts. Merci de votre soutien.
Autres livres pouvant vous intéresser
- Les 25 ans du Café Graffiti et l’ouverture du Ste-Cath
- Recueil de textes à méditer
- Guide d’intervention auprès d’une personne suicidaire
- Comment écrire un blogue pour être vu et référencé?
- Roman de cheminement, L’amour en 3 Dimensions
- Comment intervenir auprès des jeunes?
- LOVE in 3D Roman de cheminement humoristique en anglais.
- Quebec Suicide Prevention Handbook
- Liberté; un sourire intérieur
Vous avez raison de dire Éric que le débat est différent entre le suicide assisté et l’euthanasie.
Merci pour votre commentaire.
Raymond.
J’aimeJ’aime
Je suis favorable à une décriminalisation de l’aide au suicide, mais défavorable à une décriminalisation de l’euthanasie. L’aide au suicide et l’euthanasie ne doivent pas être confondues et acceptées ou rejetées en bloc, car les risques d’abus ne sont pas les mêmes et car ils sont juridiquement fort différents.
Eric Folot
J’aimeJ’aime
Bonjour Folot.
Il est vrai qu’éthique, moral et juridique sont des débats différents.
Les risques d’abus existent des deux côtés de la frontière. En étant illégal, certains se tournent vers une aide au suicide ou à une euthanasie artisanale qui, parfois, fini en catastrophe. De plus, la pression sur les pairs dans le cas d’un suicide assisté ou d’une euthanasie sont énormes et causes de graves séquelles.
Où se situe le moindre mal?
Raymond.
J’aimeJ’aime
Au sujet de la différence entre l’euthanasie et l’aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu’il n’existe pas de différence entre les deux : dans un cas c’est le patient lui-même qui s’enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l’autre c’est le médecin qui la retire. Il faut d’abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l’on se situe sur le terrain de l’éthique, on peut raisonnablement soutenir qu’il n’existe pas de différence. Cependant, si l’on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l’euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l’emprisonnement à perpétuité) et l’aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d’emprisonnement). Dans le cas de l’aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l’aide au suicide constitue d’une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972, cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu’une complicité que s’il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n’est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l’aide au suicide est donc un non-sens.
En revanche, l’euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l’un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l’interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d’autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d’ailleurs aboli la peine de mort en 1976 ! Si l’euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l’esprit, conclure que l’euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d’un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d’abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d’exprimer leur volonté) et les risques d’érosion de l’ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l’euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l’euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l’encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :
« Il existe, tout d’abord, un danger réel que la procédure mise au
point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour
eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier,
et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un
fardeau pour les autres ou pour la société. C’est là l’argument dit du
doigt dans l’engrenage qui, pour être connu, n’en est pas moins
réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le
consentement à l’euthanasie ne soit pas vraiment un acte
parfaitement libre et volontaire »
Éric Folot
J’aimeJ’aime
Bonjour Rhuy.
Quand tu parles « d’accompagnants », veux-tu dire que tu es bénévole pour l’association ou que tu étais un proche de la dame?
J’aimeJ’aime
Cet été, j’ai accompagné à Bern une dame dont la santé se dégradait depuis plusieurs mois, qui se paralysait, non pas en « phase terminale » mais à la limite de ce que la Suisse accepte à savoir pouvoir boire elle-même le penthotal.
Son unique fils l’a accompagnée tendrement ainsi que nous les accompagnants .
» C’est le plus beau cadeau que l’on m’ait fait » a-t-elle dit avec un large sourire en prenant le verre tendu !
Quels sont les plus « humains » dans ces situations extrêmes …
A noter que l’ association Suisse précise dans ses statuts « qu’elle est politiquement neutre et repose sur des principes chrétiens !!! «
J’aimeJ’aime
Bonjour Martin.
C’est un peu l’équivalent du NTBR qui était inscrit dans les dossiers des patients à une certaine époque. Not To Be Ressucited.
J’aimeJ’aime
Il faut éviter l’acharnement thérapeutique. C’est pour cela qu’on bourre les patients de morphine pour soulager la douleur, au risque de les voir péter. C’est une forme d’euthanasie légal.
J’aimeJ’aime
Peu importe la position que nous prendrons en ce qui concerne le suicide assisté et l’euthanasie, il faut nous assurer de bien encadrer et règlementer le tout.
J’aimeJ’aime
Dans le cas du suicide assisté, on ne peut pas prendre à la légère la demande de suicide. Il faut éviter que la famille, les proches, incitent la personne à faire la demande de suicide juste parce qu,ils sont tanés de supporter l’handicapé.
J’aimeJ’aime
Effectivement, le suicide assisté c’est l’aide au suicide pour quelqu’un qui voudrait se suicider mais qui ne peut le faire par lui-même. L’euthanasie est de tuer ou de laisser mourir plus rapidement quelqu’un qui est en phase terminale et qui n’est peut-être même pas conscient de ce qui se passe.
J’aimeJ’aime
Il est vrai que nous ne pouvons pas faire le même débat entre le suicide conventionnel et le suicide assisté. Diriez-vous que même l’euthanasie est différent du suicide assisté?
J’aimeJ’aime