Éric Gordon, témoignage | Communautaire

Mon mariage a eu lieu le 12 juillet 2008 à Amos. J’attendais, avec mon témoin Guy, mes amours, soit ma conjointe Stéphanie et mes deux filles, Hélodie, 6 ans, et Lauryanne, 4 ans. Cette journée a été l’une des plus belles que j’ai vécues. Pendant que les femmes de ma vie se préparaient, je devais contrôler mes sentiments. Cette journée représentait l’aboutissement de mon ancienne vie et me faisait vivre de fortes émotions.

La préparation du mariage n’a pas été de tout repos. Ma plus grande difficulté était de trouver un témoin. La vie que j’ai vécue a fait en sorte qu’il y a très peu de gens significatifs pour moi au point de leur demander un tel service. Je voulais aussi que mon témoin me rappelle d’où je viens et le chemin que j’ai parcouru.

Guy était la personne par excellence, lui qui connaît tout de ma vie. Par contre, je l’avais perdu de vue depuis un moment. Un soir, je décide de l’appeler. Je lui explique où j’en suis rendu, comment se déroule ma vie et lui demande d’être mon témoin. Sa voix devient plus émotive et il accepte sans hésiter. Je suis bouleversé, moi qui croyais pourtant avoir un contrôle absolu sur mes émotions.

Prison pour enfants

Il faut dire que j’ai connu Guy au plus bas de mon existence. J’avais douze ans la première fois que j’ai rencontré cet éducateur spécialisé dans un Centre jeunesse. C’est là que j’ai vécu ma première expérience de stabilité. Je suis resté trois ans à cet endroit, une période entrecoupée de courts placements en foyer de groupe. J’y ai fait des activités que jamais je n’aurais pu faire avec mes parents ou d’autres familles: canot, escalade, randonnée, plongée sous-marine, planche à voile, équitation, camping, judo, badminton, volleyball, hockey, etc.

Parmi mes camarades et les éducateurs, je me sentais accepté pour la première fois. Le Centre était pour moi une famille. C’était pourtant un endroit plein de restrictions, comme une prison, mais pour les enfants. Très peu de temps personnel nous était alloué, mais je crois que cela était mieux ainsi.

Lorsque je suis arrivé au centre, je ne parlais aux éducateurs que lorsque c’était absolument nécessaire. C’était une obligation qui me répugnait au plus haut point. Une grande méfiance à l’endroit des adultes m’habitait. Le Centre m’a permis de surmonter cette difficulté. C’est avec beaucoup de patience que les animateurs, enseignants, instructeurs, moniteurs et pédagogues m’ont débarrassé de cette méfiance. Je ne comprenais pas que des adultes puissent vouloir mon bien-être et être gentils avec moi.

Séjour chez les Rochefort

Les gens qui se rapprochaient le plus d’une famille pour moi à cette époque étaient les Rochefort. Je suis resté environ un an chez eux. J’ai appris à travailler sur leur ferme et à avoir de l’argent pour moi.  Nous sommes aussi allés en Floride, le plus beau voyage de ma vie. Cette famille est la meilleure qu’il m’ait été donné de voir. Et je m’y connais. Je suis passé par 37 familles d’accueil, 2 ans et demi de Centre jeunesse et un an de foyer de groupe.

Les Rochefort m’ont immédiatement accepté parmi eux. En revanche, je ne voulais en aucun cas m’attacher à eux. Je me doutais bien que je partirais un jour ou l’autre. J’avais toujours peur d’être exclu, je ne créais donc pas de liens. La seule fugue que j’ai faite a été à partir de cet endroit. Aujourd’hui, je peux mieux expliquer pourquoi je suis parti de cette maison. Cela peut sembler étrange, mais j’étais trop bien avec eux. J’avais besoin de sentir que le monde ne m’aimait pas. Ce n’était pas normal que l’on me traite comme les autres membres de la famille sans jamais rien demander en retour. Aux prises avec des émotions contradictoires, j’ai fugué avec Patrick, un autre jeune qui vivait chez les Rochefort.

La fugue n’a duré qu’environ une semaine. Après quelques aventures, bonnes et mauvaises, Patrick et moi avons décidé de nous rendre à la Sûreté du Québec. À notre grande surprise, nous n’étions même pas recherchés par la police. J’ai su plus tard que les Rochefort n’avaient pas signalé notre fuite. Ayant confiance en mes capacités de me débrouiller, ils voulaient attendre un peu avant de contacter les policiers. On m’a ensuite donné le choix de retourner chez les Rochefort ou non. Bien que leur porte m’ait toujours été ouverte, je ne voulais pas retourner dans cette famille. J’étais mal à l’aise d’être aimé, un mal si fort qu’il me fallait partir de chez eux.

Placé jusqu’à 18 ans

La seule chose que je voulais ensuite était de retourner au Centre d’accueil, où je pourrais enfin me créer un monde, sans vivre d’expériences familiales qui auraient pu me déstabiliser encore plus. J’ai obtenu un placement jusqu’au jour de ma majorité.

Pendant mon adolescence, il n’était pas rare que je pense au suicide. Au Centre, je fréquentais des gens aux prises avec les mêmes problèmes que moi: solitude, abandon, échec scolaire, consommation, etc. Certains se suicidaient, d’autres effectuaient des tentatives ou s’automutilaient. Je me suis parfois posé la question: ne serait-il pas mieux que je ne sois plus là? Un jour, mon voisin de chambre s’est mis à cogner dans le mur. Je suis sorti pour aviser l’éducateur. Lorsqu’il a ouvert la porte, j’ai vu le jeune accroché au plafond avec sa ceinture. Je suis retourné dans ma chambre, incapable de faire quoi que ce soit. Heureusement, il a survécu. Je ne l’ai jamais revu par la suite.

Cette nuit-là, je n’ai pas été capable de dormir dans ma chambre. J’ai demandé à être transféré en salle d’isolement où j’ai passé une nuit très agitée. Je pensais au suicide, je me questionnais. J’en suis arrivé à la conclusion que le fait que je sois vivant ou non ne dérangerait personne. J’ai alors eu peur de mourir seul. J’ai donc décidé de me relever les manches et de foncer dans la vie.

Beaucoup d’amis, pas de famille

Cette expérience a eu un impact majeur sur ma vie. Moi qui collais la tapisserie et longeais les murs, j’ai dû apprendre à socialiser. Avec les gens de mon âge au début, car je ne faisais toujours pas confiance aux adultes. Tranquillement, je me suis fait des amis à l’école. Je m’adaptais progressivement à la vie de groupe et en suis même venu à développer un certain leadership auprès de mes pairs.

J’avais dorénavant des amis, mais portais toujours un lourd secret. Pour éviter les questions sur mon passé ou ma famille, j’ai longtemps dit que mes parents étaient décédés et que je n’avais ni frère ni sœur. Ce mensonge me protégeait. Je souhaite maintenant m’en débarrasser une fois pour toutes.

Pour des raisons que j’ignore, mon père a quitté ma mère alors que j’avais à peine un an. Ma mère m’a par la suite confié aux services sociaux. Elle s’est mise à «jouer au ping-pong» avec moi. Elle me gardait pour de courtes périodes, environ 3 mois, puis me replaçait dans des familles d’accueil. Elle revenait ensuite me chercher pour un autre deux ou trois mois et me replaçait plus tard auprès des services sociaux. C’est pourquoi j’ai «fait» tant de familles.

À l’âge de 8 ans, j’ai été mis en classe spécialisée en raison de problèmes de comportement. Je vivais des périodes d’agressivité et me battais souvent avec les autres élèves. Éventuellement, avec l’aide de mon professeur, j’ai rédigé une lettre destinée à un juge, lui demandant une mesure d’adoption et un placement jusqu’à la majorité. Mes parents ont signé les documents nécessaires, faisant de moi un enfant de l’État. À partir de ce jour-là, le jugement était prononcé.

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