Note spéciale: Jean-Pierre Bellemare a été reconnu coupable en mai 2021 pour un autre crime commis en 2018 et se retrouve maintenant en prison.

Le saccage d’une vie

Jean-Pierre Bellemare | Dossiers Prison et Criminalité

Le sadisme des prisonniers envers les nouveaux arrivants dans les pénitenciers. Quand la violence engendre la violence.

Les jeunes prisonniers qui débarquent pour la première fois au pénitencier le font avec beaucoup d’appréhension et pour cause. Secoué par une lourde condamnation, ils doivent tenter de se reprendre en main le plus rapidement possible pour se préparer à un changement de vie radical. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les compagnons d’infortune exercent un sadisme qui dépasse l’entendement.

Les récidivistes, qui connaissent bien le tabac, identifient les plus faibles et s’amusent à les terroriser. Pour y arriver, ils utilisent tous les moyens possibles et imaginables. Ces jeunes, avec des craintes et une imagination déjà enflammées, représentent des proies faciles et vulnérables! Le stratagème le plus souvent employé est la description d’histoires scabreuses de viols collectifs et de meurtres sanglants avec détails. Il ne faut pas s’étonner que certains craquent et se suicident, lamentable réalité carcérale.

Faire son entrée en prison

Lorsque j’ai fait mon entrée au pénitencier, âgé d’à peine 19 ans, beau bonhomme, svelte et blagueur, j’avais beau me préparer psychologiquement à cet enfer, une odeur fétide provenant de mon arrière-train trahissait ma peur. Je me sentais semblable à un morceau de viande accroché, attendant la découpe d’un boucher maladroit équipé d’un couteau mal aiguisé. Des images d’horreur aveuglaient toute objectivité. Je ne voulais qu’une chose, me protéger. Pour y arriver, je pensais m’équiper d’un objet piquant ou tranchant à la première occasion. J’avais la ferme intention de défendre chèrement ma peau contre le premier qui essayerait de jouer au loup avec moi.

Mon second réflexe fut d’effacer mon sourire idiot (nervosité) pour des années à venir. Le remplacer par un masque d’allure patibulaire avec l’espoir que cela découragerait tout carnassier en mal de chaire humaine. Désirant mettre toutes les chances de mon côté, j’ai ignoré mon hygiène, espérant qu’un être dégoûtant en dégoûterait quelques-uns.

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Prisons et vautours sexuels

Toutes ces années passées, je suis resté sur mes gardes. Aujourd’hui encore, à 43 ans je me sens parfois dévoré du regard par quelques-uns de ces vautours sexuels qui chassent tout ce qui bouge.

Ce qui me ramène très loin dans un recoin de ma tête où j’avais coupé volontairement l’éclairage, un souvenir trop sinistre. J’avais à peine douze ans lorsque mes parents, en instance de divorce, tentaient pour la énième fois de se réconcilier. Mon père, un alcoolique violent et désespéré, n’arrivait pas à s’imaginer refaire sa vie sans ses enfants. La séparation était bien au-dessus de ce qu’il était capable d’accepter. Il mit fin à ses jours.

Avant d’en arriver là, il a commis une grave erreur de jugement aux conséquences désastreuses. Réfugiée dans le joli petit village de Ste-Clothide, ma mère essayait de retrouver un peu de quiétude et de sécurité auprès de sa famille. De mon côté, j’en garde de très bons souvenirs, ce n’était qu’une autre aventure d’enfant. J’étais un premier de classe et sortais avec une belle fille. Je m’amusais souvent à taquiner mes deux adorables sœurs et mon grand frère. La vie normale d’un jeune pré-adolescent qui grandit.

DPJ, centre d’accueil et prison

Jusqu’au jour où, deux fonctionnaires de la protection de la jeunesse (aujourd’hui DPJ) débarquent chez moi. Je voyais ma mère discuter fortement avec eux. Ils m’invitent à monter à l’arrière de leur voiture. Je pleurais tel un veau arraché à sa mère mais rien ne semblait les arrêter. Ma mère, impuissante, me regarde partir. On venait de m’enlever de force, devant ma mère, moi qui n’avais rien fait. Des années plus tard, j’ai découvert que mon père, en guerre contre ma mère, avait inventé une histoire abracadabrante pour qu’elle perde la garde de ses enfants.

Inconsolable, je fus placé dans un centre d’accueil, conçu pour me protéger, m’éduquer et m’aider à compléter mon développement, qui était, selon eux, compromis. C’est là que je fus abusé et agressé sexuellement par ceux qui devaient me protéger et m’éduquer! Trente ans plus tard, ces souvenirs pèsent encore très lourd et compromettent mon épanouissement. Plus jamais personne ne violerait mon intimité sans en payer le prix.

Se préparer à la prison

C’est avec ce genre de bagages que je m’apprêtais à affronter l’enfer de la prison. Les principaux outils utilisés par les rapaces sexuels sont tristement les mêmes que ceux utilisés par les gens qui désirent véritablement nous aider. Les sourires, l’aide apportée, le support offert, toutes ces approches n’avaient qu’un but précis, voir, toucher, posséder ma fragilité d’homme.

La principale conséquence engendrée par cette manière de faire a été la confusion qu’elle fit naître chez moi. Comment reconnaître la bienveillance de la malveillance lorsque quelqu’un s’approche d’un peu trop près? C’est l’élément déclencheur d’une méfiance permanente. Ce qui endommage aussi la plupart des relations affectives que j’ai eues par la suite. Pour moi, tout contact avec des personnes en autorité se révèle souvent catastrophique.

Ce drame a contribué en bonne partie à me rebeller contre toute forme de pouvoir. Incapable de gérer ma propre colère, je la déversais sur les autres. Mon malheur a provoqué beaucoup de peines, de tristesses et de blessures. J’en suis profondément désolé. Mon seul vœu est de donner un sens constructif à ma vie à travers mes chroniques, mes pièces de théâtre et mes projets d’émission de télévision, dans l’espoir de susciter une réflexion. Je ne serai jamais un saint, car c’est aussi sous cette couverture que certains abuseurs se cachent. Je me contente d’aider mon prochain de mon mieux, en respectant mes propres limites.

Grâce au magazine Reflet de Société, je vous renvoie un reflet sans miroitement d’une réalité que beaucoup d’hommes renient. J’espère transmettre aux lecteurs une meilleure compréhension de l’agir criminel.

Puissent les saboteurs de vie prendre conscience un jour des graves conséquences de leurs gestes. Tuer l’âme d’une personne n’est pas moins grave que de tuer le corps humain.

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    Journaliste dans divers médias à travers le pays; Halifax Daily NewsMontreal Daily NewsFinancial Post et rédacteur en chef du Montreal Downtowner. Aujourd’hui, chroniqueur à Reflet de Société, critique littéraire à l’Anglican Montreal, traducteur et auteur aux Éditions TNT et rédacteur en chef du magazine The Social Eyes.

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    Ce guide est écrit avec simplicité pour que tout le monde puisse s’y retrouver et démystifier ce fléau social. En français. En anglais.

    Par téléphone: (514) 256-9000, en région: 1-877-256-9009
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