Santé et nouvelles technologies

Les ondes de la discorde

Julie Philippe | Dossier Santé

À  cause des nouvelles technologies, David Fancy a tout abandonné. Pour fuir les champs électromagnétiques qui lui occasionnaient des maux très douloureux, il a trouvé refuge 3 années dans les bois. David se dit électrosensible, c’est-à-dire allergique aux ondes émises par les appareils technologiques.

La vie de cet universitaire spécialisé dans les arts du spectacle, écrivain et philosophe, a complètement changé depuis 4 ans. Pour lui, appeler avec un cellulaire ou consulter ses courriels est synonyme de torture.

Maux de têtes, oreilles bourdonnantes, vertiges: autant de symptômes que les électrosensibles associent aux ondes des outils technologiques. Le chercheur pense que son problème est dû à l’apparition de nombreuses antennes relais près de son habitation à Montréal. «Je considère mon trouble comme une forme d’allergie. Tout le monde est soumis aux champs électromagnétiques de façon passive. C’est anti-démocratique!», dénonce-t-il.

L’électrosensibilité, un trouble mal connu ?

Combien sont-ils comme David à ne plus supporter les ondes? Selon Magda Havas, professeure en sciences environnementales à l’Université de Trent en Ontario, 35 % des Canadiens y sont sensibles de façon plus ou moins intense, et 3 % sont sévèrement affectés. La scientifique s’est basée sur ses tests en laboratoire pour avancer ces chiffres. «Nous avons fait des études sur le diabète et constaté que la glycémie est affectée. Nous avons aussi mesuré la fréquence cardiaque et constaté qu’elle change instantanément quand un électrosensible est exposé à des fréquences radio», résume-t-elle.

Des chiffres élevés que Mme Havas ne trouve pas étonnants. Elle pense que la plupart des personnes affectées ne se rendent pas compte de leur problème. «Beaucoup n’ont jamais entendu parler de l’intolérance aux champs électromagnétiques. Les gens associent au stress ou à l’anxiété les symptômes de l’électrosensibilité tels que les insomnies, les maux de tête ou l’irritabilité. Certes, le stress peut causer ces symptômes mais ils disparaissent quand l’individu sensible est dans un environnement sain», assure-t-elle.

Le docteur en physique et consultant pour l’Association des sceptiques du Québec, Alain Bonnier, est d’un tout autre avis. Pour lui, l’électrosensibilité s’apparente à une mode. «L’attribution de certains malaises à des innovations technologiques n’est pas un phénomène nouveau. Chaque innovation a apporté son lot de craintes et de malaises. Qu’on songe par exemple aux premiers trains au XIXe siècle qui se déplaçaient à la vitesse folle de 30 km/h. Certains se plaignaient de malaises reliés au fait de se déplacer à de si grandes vitesses! Il en est de même pour la question des symptômes attribués à l’électrosensibilité qui est apparue il y a une vingtaine d’années», fait-t-il remarquer.

Quoi qu’il en soit, au Québec, les associations d’aide aux personnes dites électrosensibles se développent. La plus importante est Sauvons nos enfants des micros ondes (SEMO). Pour le porte-parole de l’organisme, François Therrien, il est temps que les gouvernements agissent: «Nous tentons de faire reconnaître ce problème par les autorités de santé. Ce n’est malheureusement plus un débat scientifique mais financier et politique», affirme le militant. santé

De plus en plus de gens se considèrent électrosensibles. Pour preuve, l’entreprise d’Expertise électromagnétique environnementale (3E) créée en 2006 et qui aide les Québécois à se protéger des ondes est fortement sollicitée, selon le responsable de l’agence, Stéphane Belainsky. «Depuis quelque temps, la demande est si importante que je peux vivre de mon travail», assure-t-il.

Tensions entre experts

Au Québec, le ministère de la Santé mais aussi l’Institut national de Santé publique du Québec considèrent que les études n’ont pas apporté la preuve d’un danger lié aux ondes électromagnétiques (voir encadré).

Santé Canada est du même avis, comme certains experts dont le physicien Alain Bonnier: «Plusieurs études ont été entreprises depuis 20 ans pour voir s’il y avait un fond de vérité derrière tout ça, ce qui est assez facile à vérifier aujourd’hui. Mais aucune de ces études n’a donné de résultat probant. Si bien qu’aujourd’hui, l’OMS endosse le consensus à l’effet que l’électrosensibilité n’a aucun fondement scientifique.»

Comme de nombreux scientifiques, le professeur Bonnier considère qu’il s’agit plutôt d’un trouble psychosomatique. «Le fait qu’on en parle encore aujourd’hui m’apparaît relever d’un phénomène bien connu de ‘‘croyances induites’’. Ce sont des croyances que l’on induit dans la population à force d’en parler comme si elles étaient fondées. La croyance aux soucoupes volantes en est un bon exemple. De même, lorsqu’on parle d’électrosensibilité dans les médias, certains seront portés à associer des symptômes réellement ressentis à ce facteur plutôt que de tenter de chercher d’autres causes plus plausibles comme celles, par exemple, découlant de leur alimentation, de la qualité de l’air qu’ils respirent, de leur état de santé ou de fatigue, etc.»

Les électrosensibles démentent cette affirmation. Ils peuvent détecter la présence de cellulaires ou de routeurs. C’est le cas de Pascale Lauzier, 34 ans, cofondatrice d’une ligne de vêtements éthiques qui est malade depuis un an. «Certains disent que c’est psychosomatique, pourtant, je ‘‘sens’’ les routeurs lorsque je suis dans une pièce sans que l’on m’informe de leur présence», affirme-t-elle.

Le courant ne passe pas entre tous les scientifiques. Pour Dominique Belpomme, médecin français, professeur de cancérologie et président de l’Association pour la Recherche thérapeutique anti-cancéreuse, les études scientifiques approfondies manquent pour analyser le phénomène. Toutefois, pour lui, le danger des ondes électromagnétiques est loin d’être nul.

Le professeur rencontre depuis septembre 2009 des personnes électrosensibles. «Les données de la littérature scientifique et nos observations chez un nombre croissant de malades nous conduisent à entrevoir la possibilité d’un problème de santé publique majeur si le principe de précaution n’était pas d’urgence mis en œuvre», déclare-t-il.

Pour André Fauteux, «les chercheurs pionniers ont toujours été considérés comme des hérétiques. C’est le cas des docteurs Belpomme et Havas».

Alain Bonnier estime pour sa part qu’il vaut mieux éviter de parler du phénomène. «Si on arrête de parler d’électrosensibilité dans les médias, la croyance disparaît. Les symptômes réellement ressentis, eux, ne disparaissent pas nécessairement pour autant. Mais on évite ainsi de lancer les lecteurs sur de fausses pistes d’explications de ces symptômes», soutient-il.

Faut-il s’inquiéter? Une seule chose est sûre: le sujet n’a pas fini de faire parler.

Des institutions à contre-courant

Le phénomène récent de l’électrohypersensibilité fait l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Au Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) se base sur la position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui réfute les dangers des ondes: «Compte tenu des très faibles niveaux d’exposition et des résultats des travaux de recherche obtenus à ce jour, il n’existe aucun élément scientifique probant confirmant d’éventuels effets nocifs des stations de base et des réseaux sans fil pour la santé», affirme l’OMS sur son site Internet.

L’Institut national de santé publique du Québec, mandaté par le MSSS pour étudier le sujet est arrivé aux mêmes conclusions. Il recommande toutefois d’être vigilant: «Le niveau de risque associé à l’exposition aux champs électromagnétiques pour l’ensemble de la population, s’il est réel, s’avère faible. Néanmoins, du fait que pour certains groupes plus exposés, il peut s’agir d’un risque important, l’Institut national de santé publique du Québec considère que le gouvernement devrait prendre position sur la gestion des champs électromagnétiques (CEMs) et se doter d’une approche de précaution.»

Santé Canada considère «qu’il n’y a pas de preuves scientifiques que les symptômes attribués aux Hypersensibilités électromagnétiques (HSEM) sont réellement causés par l’exposition aux CEMs». Les causes seraient plutôt d’ordre psychologique ou extérieures aux ondes: «Il est suggéré que ces symptômes puissent survenir par l’entremise de facteurs environnementaux non liés aux CEMs. D’autres facteurs possibles incluent une mauvaise qualité de l’air, le stress en milieu de travail ou en milieu de vie, des troubles psychiatriques antérieurs ou des réactions causées par le stress lié aux inquiétudes à propos des effets sur la santé par des CEMs», affirme Santé Canada dans un rapport sur le net.

L’OMS ne reconnaît pas l’électrosensibilité

L’électrosensibilité est controversée. À l’exception de l’Angleterre et de la Suède, le trouble n’est reconnu par aucun pays, ni même par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Seule la leucémie infantile semble être liée aux ondes.

«En 1979, Wertheimer et Leeper ont signalé une association entre des cas de leucémie infantile et certaines caractéristiques du branchement électrique du logement des enfants atteints. Depuis lors, un grand nombre d’études ont été menées sur cette importante question et elles ont été analysées par l’Académie nationale des Sciences des États-Unis en 1996. Selon cette analyse, le fait de résider à proximité d’une ligne de transport électrique pourrait être associé à une augmentation du risque de leucémie infantile (risque relatif RR = 1,5), mais le risque ne serait pas modifié pour d’autres cancers. Une telle association n’a pas été observée chez les adultes», affirme l’OMS.

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