Rencontre avec Myriam Quéméner, magistrate

Le proxénétisme sur le web

La prostitution s’est déplacée ces dernières années de la rue vers Internet. Les sites proposant des personnes prostituées se sont multipliés et des cas commencent à défrayer la chronique judiciaire. Pour Myriam Quéméner, leur prolifération est devenue un vrai sujet de préoccupation.

Patrick Juan | Dossiers Prostitution, Internet, International

Myriam Quéméner est magistrate au service criminel de la Cour d’Appel de Versailles et experte auprès du Conseil de l’Europe en matière de cybercriminalité.

Pourquoi cette explosion de la prostitution sur Internet ?

Internet est l’outil idéal pour les activités clandestines: discrétion, anonymat, faible coût d’accès, facilité de gestion des contacts. Il favorise la multiplication des infractions et est notamment utilisé comme une maison de vente par correspondance, que ce soit pour le matériel pornographique ou pour la vente des êtres humains. Les trafiquants proposent des guides spécialisés en ligne pour les touristes sexuels et les clients de la prostitution. Ils mettent en ligne de prétendues agences matrimoniales ou proposent des services de massages par exemple. Cette cyber délinquance a aujourd’hui un caractère mondial.

Ces sites relèvent-ils de ce que le droit appelle «proxénétisme» ?

prostitution-internet-escorte-web-proxenetisme-proxenete légaliser légalisation décriminaliser décriminalisation L’éditeur d’un site Web, support d’une activité de prostitution, peut être poursuivi pour proxénétisme. Proposer des services à caractère sexuel moyennant rémunération relève de l’article 225-5 du code pénal français: le fait d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui de quelque manière que ce soit. Un webmaster risque dix ans de prison. On compte actuellement environ dix arrestations par an en moyenne, par pays collaborant avec Interpol. L’Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains (OCRTEH) a démantelé récemment un réseau qui envoyait aux clients, qui avaient fait leur choix sur un catalogue en ligne, le numéro de chambre par messages textes sur le cellulaire.

Qui sont les responsables de ces sites, où les hébergent-ils?

Les responsables peuvent être des individuels mais aussi des réseaux, des mafias. Monter un site, c’est facile. Il suffit de l’héberger dans un pays où il n’existe pas de législation en la matière. Les sites sont donc hébergés dans des cyber-paradis, des pays où aucune législation ne peut les réprimer; aux USA, par exemple, où le premier amendement de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression, permet à toutes sortes de sites d’exister. Y compris des sites racistes et xénophobes, la seule répression portant sur la protection des mineurs. Les sites choisissent aussi des pays laxistes comme ceux de l’ancien bloc de l’Est. Et bien entendu des pays où la législation sur le proxénétisme diverge de celle de la France et se montre beaucoup moins répressive.

Que sait-on de ces réseaux ?

La nouveauté, c’est que, contrairement au passé où chaque type de délinquance était spécialisé, la mondialisation a amené des connexions entre les différents domaines de criminalité. Ces sites de prostitution sont aujourd’hui liés à d’autres activités criminelles. Ils peuvent ainsi servir à financer le commerce d’armes ou le terrorisme. Il y a des connexions entre mafias, avec beaucoup d’affaires dans les pays de l’Est depuis la chute de l’ancien bloc soviétique.

Comment s’y prennent-ils pour recruter leurs victimes ?

Internet est un moyen de recrutement extraordinaire. De nombreux sites de proxénétisme se dissimulent sous des abords anodins: petites annonces pour des emplois, rencontres, faux contrats de travail. C’est assez pervers. Il ne s’agit pas forcément de sites explicites, mais de sites qui recrutent pour de petits jobs, par petites annonces. Cela peut passer aussi par des forums de discussion, avec une apparence d’échanges, de rencontres anodines. Il est évident qu’il va y avoir utilisation des réseaux sociaux et des forums, avec détournement des carnets d’adresses. Ce sera de plus en plus dissimulé.

De quels moyens dispose la police?

Ce ne sont pas des infractions faciles à démontrer. Il faut prouver qu’il y a bien des relations sexuelles par exemple. Les enquêtes sont complexes, les auteurs se jouent des frontières et on se heurte à la souveraineté des états. Il faut des enquêtes d’initiative afin d’établir les infractions. Je pense à une affaire exemplaire, un site réfugié à l’extérieur de l’Union Européenne. Un commissariat a fait un travail de fourmi entre les pays de l’Est et la France. La difficulté, c’est aussi, quand on ferme un site, qu’un autre rouvre aussitôt, éventuellement dans un autre pays. Si l’éditeur du site se trouve en Europe, il peut être poursuivi grâce au mandat d’arrêt européen qui conduit à l’extradition du ressortissant vers la France. Il y a quelques progrès dans la coopération. Avec certains pays de l’Est, comme la Roumanie, qui souhaite changer d’image et a adhéré à la Convention sur la cybercriminalité, nous avons une bonne coopération. De même en Slovénie, avec qui nous avons une équipe commune d’enquête.

Quels sont les défis vis-à-vis la cybercriminalité?

On a ce qu’il faut au niveau des textes et on a des acteurs motivés. Il faut définir une politique pénale en la matière, mettre en route une meilleure coopération internationale, faire adhérer les pays à la Convention sur la cybercriminalité, renforcer les formations pluridisciplinaires sur les aspects juridiques et techniques, lancer des campagnes de prévention, notamment à destination des jeunes majeurs. Pour les mineurs, nous disposons d’une législation parfaite. La répression du proxénétisme est aggravée s’il concerne un mineur et s’il s’effectue par le biais d’Internet (10 ans et 1 500 000 euros d’amende).

Site d’escorte démantelé

Les policiers constatent que de jeunes escortes effectuent des tournées dans toute la France, dans des hôtels 3 étoiles. Originaires pour la plupart d’Europe de l’Est ou d’Europe centrale, elles sont référencées moyennant 200 à 900 euros d’inscription mensuels. Le site est hébergé en Slovaquie et propose les services de 7 500 jeunes femmes prostituées à travers toute l’Europe (1700 en France). Neuf personnes ont été interpellées en France et en Slovaquie. Une commission rogatoire internationale a été lancée contre le cerveau du site, un Suisse de 35 ans. Le mandat d’arrêt lancé par la justice française contre cet homme est très lourd: proxénétisme aggravé, association de malfaiteurs, traite d’êtres humains. Mais il vit tranquillement en Suisse où le proxénétisme n’est pas réprimé. Il a d’ailleurs protesté qu’il ne faisait rien d’illégal et se contentait de venir en aide aux jeunes femmes en leur permettant de se faire de la publicité.

Hébergeur Internet

Le 8 mars 2007, un tribunal français a condamné pour proxénétisme un développeur de site Internet pour prostituées. Il a été reproché à ce dernier d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution en créant, moyennant rémunération, ce type de site web. À peine fermé en Slovaquie, le site Internet a rouvert aux États-Unis en moins de 24 heures. Des sites communautaires (blogs, forums de discussion, Dailymotion….) ont été récemment considérés par la jurisprudence comme des hébergeurs et à ce titre non responsables des contenus qu’ils hébergent, tant que le caractère manifestement illicite ne leur est pas signalé. C’est ce que l’on appelle la responsabilité allégée.

L’espace Schengen

Avec les huit nouveaux entrants d’Europe de l’Est, auxquels s’ajoute Malte, l’espace Schengen compte désormais 24 pays. La Norvège et l’Islande sont les seuls pays à ne pas être membre de l’Union Européenne. Ils formaient déjà un espace de libre circulation des personnes avec le Danemark, la Finlande et la Suède. Sa superficie atteint un tiers de la taille des Etats-Unis (4.000 kilomètres entre Tallinn, en Estonie, et Lisbonne, au Portugal) et abrite quelque 400 millions d’habitants. La Suisse, qui a accepté de faire partie de l’espace Schengen, a adhérée au 1er novembre 2008.Cinq pays de l’Union Européenne ne font toujours pas partie de Schengen : la Roumanie et la Bulgarie, qui ont adhéré à l’Union Européenne le 1er janvier 2007, Chypre, qui espère bientôt rejoindre le club à son tour ainsi que le Royaume-Uni et l’Irlande, qui ont préféré ne pas opter pour le régime de visa unique. Schengen est le nom de la ville luxembourgeoise où a été signé en 1985 l’accord créant un espace de libre circulation des personnes par un groupe d’États pionniers dans la construction européenne : l’Allemagne, la France et le Benelux. Mais les contrôles aux frontières n’ont été supprimés qu’en 1995, incluant l’Espagne et le Portugal. Les citoyens des pays concernés peuvent circuler librement sans passeport ni visa à l’intérieur de cet espace. Les citoyens de pays externes doivent disposer d’un visa longue durée pour circuler librement dans les pays de l’espace Schengen. Des contrôles peuvent toutefois être mis en place de manière temporaire s’ils s’avèrent nécessaires au maintien de l’ordre public ou pour des raisons de sécurité nationale. La France, par exemple, maintient le dispositif de surveillance de ses frontières terrestres avec le Benelux (lutte contre les trafics). Et pour l’Euro 2008, l’Autriche a réintroduit un contrôle aux frontières. Sur le plan policier, les pays de l’espace Schegen participent à la mise en commun du fichier informatique SIS de données sur les criminels, à la création de patrouilles conjointes entre pays voisins et à la sécurisation des frontières externes contre les trafiquants ou les migrants clandestins.

Références

  • Claudine Legardinier, Prostitution sur internet : l’avenir du proxénétisme ? Rencontre avec Myriam Quéméner, magistrate, Prostitution et Société numéro 166
  • Illustrations Mabi.

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