De l’Angleterre au Canada
Fuir la violence, fuir sa famille, son pays
Cindy a quitté son Angleterre natale pour le Canada sans se retourner. En s’établissant au Québec, la jeune femme fermait le livre d’une enfance difficile. Une famille violente et sans amour, une ville terne et dure et une vie de souffre-douleur.
Dominic Desmarais | Dossiers Famille , Développement personnel
Cindy vit au Québec depuis plus de 10 ans. Sous son air chaleureux et sympathique, la jeune femme dissimule un lourd vécu qui ne semble plus la hanter. Elle a refait sa vie à Montréal et tourné la page sur son passé avec beauté, sans animosité.
Cindy a grandi à Peterborough, une ville anglaise morne où le chômage est élevé, la violence omniprésente. «Quand je suis arrivée au Québec, je me demandais s’il y avait quelqu’un la nuit pour surveiller les fleurs en bordure des rues! Je n’en revenais pas de la sécurité, ici. Chez moi, c’est normal de voir une voiture en feu sur la route», dit-elle, encore incrédule.
Son patelin, où chacun doit se battre pour vivre, est fait pour les durs. Il n’y a pas d’université et ceux qui aspirent à sortir de la misère quittent Peterborough. «Sinon tu te trouves un emploi à 16 ans et tu arrêtes l’école à cet âge car ça ne donne rien de continuer. Toute la ville est comme ça.» Les meilleurs éléments se sauvent et ceux qui restent ne sortent pas. «Ils ne vont pas voir ailleurs. Même pas Londres!»
Famille dysfonctionnelle
Cindy est la plus jeune d’une famille de cinq enfants qui se fond bien dans le décor de Peterborough. Son père, militaire dans un régiment de parachutistes, s’absente régulièrement. Homme de peu de mots, il est sévère avec ses enfants. Le grand frère de Cindy s’est lié avec les Hells Angels avant de fuir le pays pour éviter d’être assassiné par son clan. Un autre de ses frères a fait de la prison pour fraude et trafic de drogue.
Après la naissance du deuxième de la famille, sa mère est devenue dépressive. «Elle a rejoint sa famille qui était dans les témoins de Jéhovah. Mon père ne voulait rien savoir. Il ne nous laissait pas aller à ces réunions ou être présents quand d’autres témoins étaient à la maison. C’était un sujet tabou, on n’en parlait jamais.»
Témoin de Jéhovah et transfusion de sang
Alors qu’elle était très jeune, un de ses frères a eu un accident de voiture à l’âge de 17 ans. Sa mère, première arrivée à l’hôpital, a refusé la transfusion sanguine, en vertu de ses principes religieux. «Mon père n’en revenait pas qu’elle refuse de le sauver. Les enfants non plus. À partir de ce moment-là, mon père n’était plus capable de la comprendre.»
Cindy assiste alors à des disputes quotidiennes à la maison. Il n’y a plus d’amour entre ses parents. «Ils sont nés pendant la Deuxième Guerre mondiale. À cette époque, tu te mariais pour la vie. Que tu sois en amour ou pas. Ils se battaient sans arrêt mais ne voulaient pas se séparer pour les enfants…» Son père demandera finalement le divorce alors qu’elle a 12 ans et que tous ses frères et sœurs ont quitté le domicile familial. «Il a fallu que je vienne m’établir au Québec pour avoir du recul et comprendre que ce n’était pas un milieu familial normal», avoue la jeune femme sans rancune.
Souffre-douleur à l’école
Très jeune, Cindy est victime des sarcasmes des autres élèves à son école. Toutes les raisons sont bonnes pour l’accabler. «Je n’avais pas confiance en moi. Je ne parlais pas. Je ne prenais pas ma place. On me ridiculisait à l’école à cause de ma mère qui faisait partie des témoins de Jéhovah. Elle partait chaque fin de semaine mais je ne savais pas ce qu’elle faisait. Alors quand elle rencontrait les familles des autres élèves chez elles, on se moquait de moi la semaine suivante. Mais je ne comprenais pas pourquoi. Je ne pouvais pas me défendre car je n’avais aucune idée de ce que c’était. Et mon père nous empêchait d’en parler à la maison.» On la laissait, elle la plus jeune, dans l’ignorance. Ses aînés et ses parents discutaient sans jamais lui expliquer les sujets abordés. Ce qu’elle vivait à la maison se reproduisait à l’école, amplifiant son malaise.
La jeune Cindy est prise dans un cercle vicieux d’incompréhension. Elle se fait intimider à l’école à cause de sa mère et elle ne peut en parler car le sujet est tabou à la maison. Elle doit vivre avec son mal. Et quand ce n’était pas à cause des croyances de sa mère, on se moquait de son apparence physique. «On n’avait pas beaucoup d’argent donc je devais porter les vêtements des plus vieux. Je n’avais vraiment rien de nouveau à porter et, en plus, c’était du linge de garçon, trop grand pour moi. J’avais l’air grosse. Et mon prénom, c’est celui d’une marque de poupée, comme Barbie. On m’appelait Cindy Doll: Tu es supposée être Cindy Doll mais tu n’es même pas belle et tu es grosse. Je voulais mourir.»
La famille à l’école
Peu importe ce qu’elle faisait, tout se retournait contre elle. «Ma mère est devenue surveillante à l’école. Ça n’a pas aidé. Si elle chicanait quelqu’un, c’était de ma faute. Je me sentais toujours mal. J’avais peur dès qu’elle parlait à un élève.»
Malgré son statut de souffre-douleur, Cindy avait des amis. Ou croyait en avoir. «Moi, je voulais me tenir avec les plus cool. Ils me gardaient parce que je faisais tout pour eux. J’ai donné beaucoup pour obtenir leur amitié, pour leur faire plaisir. Mais je n’étais pas leur amie. J’étais leur servante. Dès qu’ils avaient un problème, c’est moi qu’ils envoyaient pour manger la claque. Ou ils pouvaient décider de tous se liguer contre moi.» Cindy marche continuelle-ment sur des œufs. Elle n’apprend pas à se connaître mais essaie de répondre aux attentes des autres qui changent continuellement. Elle passe son temps à se questionner pour tenter de comprendre ce qu’elle fait de mal.
De l’intimidation à la violence
Enfant, Cindy n’a pas seulement connu la violence psychologique. À l’extérieur de l’école, une foule d’élèves s’était massée autour d’elle. Une pseudo amie lui en voulait. Cindy, du haut de ses 7 ans, devait subir la hargne d’une foule qui voulait du sang. Son sang. «Tout le monde l’encourageait à me frapper. Elle m’a donné juste un coup de poing. Je suis tombée dans la rue. Les voitures ont dû s’arrêter pour ne pas me frapper. J’étais en état de choc.»
Déjà, à cet âge, elle sait que dénoncer n’aidera pas sa cause. Mais la direction de l’école n’a pas écouté ses doléances. Les parents de son agresseur ont été avertis. «Ça n’a fait qu’empirer la situation. Le lendemain, on m’a traitée de faible, de snitch. Moi je n’ai rien dit à la maison. Sinon mes frères seraient allés la voir avec un batte. Et mon père, en vrai militaire, tu ne peux pas montrer une faiblesse devant lui. Tu ne peux pas pleurer. Il n’a aucune sympathie.» Cindy devait ravaler son mal dans son petit corps d’enfant de 7 ans et espérer des jours meilleurs.
Perdre ses amies
À 10 ans, ses amis cool se liguent contre elle par pur plaisir. «Demain, on va te battre.» La petite est apeurée. Elle se sent seule avec son mal. Personne vers qui se tourner. De retour à la maison où on ne s’occupe pas d’elle, Cindy s’effondre en larmes sur son lit. Sa grande sœur, qui a près du double de son âge et qu’elle connaît peu, s’informe de son état. Cindy s’ouvre à elle avec la promesse de ne pas en glisser un mot au paternel.
L’histoire se rend cependant jusqu’aux oreilles de ses frères. «Ils ont agi comme je l’avais pensé… Ils m’ont emmené avec eux et sont allés voir mes amis armés de battes. Ils les ont menacés. Mes amis ont eu peur et m’ont laissé tranquille.» Cindy a perdu ses amis. Les seuls qu’elle avait. Même si, au fond, elle reconnaît qu’ils n’avaient rien de gentils.
Autodéfense
Son père a pris connaissance de cet épisode. Le militaire en lui a inscrit sa plus jeune à des cours de judo et de Tækwondo pour qu’elle apprenne à se défendre. «Là, je sortais mes émotions refoulées. Je suis devenue championne du comté. Je battais tous mes adversaires en laissant sortir toutes mes frustrations! Mais ça n’a pas réglé mes problèmes…»
Cindy se met à sourire. Son passé lui paraît soudain si loin. Elle se replonge dans ses souvenirs d’après l’école primaire. «À 12 ans, je suis sortie au centre-ville avec des amis. Des gitans sont venus. Ils m’ont poussé par terre et rué de coups de pieds pour me voler. J’étais pleine de sang. C’était une agression sauvage. Quand mon père est arrivé, il s’est senti mal de me voir salement amochée. Mais son émotion est mal sortie. Il l’a virée contre moi. Il a réagit avec colère. Il ne comprenait pas qu’avec mes cours de judo j’avais été incapable de me défendre.»
Cindy, qui espérait se refaire une nouvelle vie en quittant son école pour le secondaire a vu ses vieux démons réapparaître. «L’histoire a fait le tour de l’école. Les gens qui me connaissaient depuis le primaire me niaisaient: tu vas me battre, Cindy?» Pour la jeune adolescente, le retour à la réalité a été dur. Championne d’une discipline, c’est une chose. Mais réagir à la violence en est une autre. Ses cours, et ses succès, l’avaient aidé à se bâtir un début de confiance qui s’avérait bien fragile.
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Bonjour Ève.
Merci pour votre témoignage.
J’aime bien votre description de ce que l’on peut vivre dans de tels événements. Très réaliste, facile à comprendre et à s’imaginer.
Merci aussi pour les solutions que vous proposez.
Raymond.
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Bonjour Raymond !
Complètement bouleversée par ce témoignage , mais pas surprise !
Dans nos maisons , nous avons toutes les répliques de la violence sous toutes ses formes !
Sévices difficiles à gérer pour les enfants qui ne sont pas armés pour çà et sont sous l’emprise d’une certaine confiance qu’ils vouent à leurs parents !I
Il faut avoir vécu une telle situation pour comprendre l’intérêt de se taire ! Le silence offre des courtes plages de répit pour respirer avant la prochaine offensive ! On a plus le temps de penser en sortir quand on est seul en cause , on se dit que c’est probablement notre faute si la terre entière nous en veut ! Les rapports de force à l’intérieur des murs scolaires devraient être mieux encadrés !
Qu’on ne me dise pas que Cindy et son mal-être est passé inaperçu au yeux de l’élite éducative , je ne le croirais pas ! Alors le laisser faire , l’indifférence est à ce stade une faute professionnelle grave provoquant un malaise chez l’enfant qui ne peux plus participer à ses cours dans de bonnes conditions ! moins réceptif , tracassé continuellement , l’instruction devient vite un brouhaha dans les oreilles , engendrant une chute des notes , et de l’échec scolaire !
Et je ne suis pas d’accord pour dire que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ,à un certain stade de cruauté , c’est difficile de revenir sans de graves séquelles !
Le Judo est aussi la discipline choisit pour mes garçons pour lutter
contre le racket et la discrimination raciale !
Pratique dont les attentes se sont avérées très positives !
Art martial à instaurer dans toutes les écoles en sport , comme matière nouvelle !
Bien suivie et contrôlée , cette discipline donne de fabuleux résultats sur les personnes enserrées dans un étau ! La niaque accumulée se transforme en confiance en soi et elle est prouvée publiquement pendant les » combats » !
Les judokas partent plus forts quand ils quittent le foyer familial , et c’est rassurant pour les parents aussi !
je souhaite à Cindy une vie intensément plus calme et riche !
bonne journée à vous Raymond
ève
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Bonjour Christine.
Quand on voit les gens sourires et s’épanouir, on ne connaît pas nécessairement tout ce qu’elles peuvent avoir vécu pour en atteindre cette sérénité. Parfois les parcours ont été houleux.
Une belle série de textes à suivre.
Raymond.
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Je ne savais pas tout cela de Cindy. J’ai eu le grand plaisir de côtoyer cette jeune femme, adulte maintenant, quand elle est venue en France pour le 1er Forum de la Jeunesse et je dois dire que sa gentillesse, sa douceur et son sourire ne pouvaient pas laisser penser qu’elle avait vécu cette enfance. J’attends les trois prochains volets pour en savoir plus. Merci à vous. Christine
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Notre civilisation est en mutation, les partages se transforment, mais je ne crois pas que nous en sommes arrivés à la fin de la civilisation. Nous sommes et serons différents, mais nous serons encore là, en nous adaptant à de nouvelles formes de communication.
Raymond.
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Bonjour,
Magnifique témoignage, que cet article rapporte, mais ce type de faits nous le constatons dans toutes les capitales européennes et sans oublier les autres de part le monde.
Il ne faut pas se voiler la face, à partir du moment ou l’éducation et la famille se perdent en conjonctures de puissaances les conflits arrivent.
La solution est parfois dans la fuite, mais ce qui est encore plus grave reste de ne pas dénoncer ce gentre de faits.
En tous domaines ou presque un constat s’impose nous sommes à la fin ou presque de notre civilisation par manque de partages.
Cordialement,
Le Panda
Patrick Juan
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