Sortir d’un gang de rue

Les adieux de Général au gang de rue

Journal intime d’un membre de gang de rue qui veut s’en sortir. Général, membre très actif d’un gang de rue, change son fusil d’épaule et quitte le gang. À travers l’histoire de Général, Reflet de Société raconte la vie dans un gang de rue.

Dominic Desmarais | Dossiers Gang de rue et Criminalité

gang-de-rue-gangster-criminalite-criminel-generalGénéral a grandi au sein de la famille des Rouges. À 9 ans, il commence à les représenter. Adolescent, il mène la guerre contre les ennemis jurés de son clan, les Bleus. Puis, avec le temps, le soldat se mue en criminel lucratif. Un séjour en prison pour vol à main armée lui a fait comprendre qu’il est temps de quitter cette famille. Mais briser le lien est difficile. Changer de mentalité aussi.

Général sort de prison à 21 ans. Il vient de passer les trois dernières années de sa vie derrière les barreaux. Et il doit, pour les deux ans à venir, se soumettre à plusieurs obligations. Il est en sursis. Il doit garder la paix, se présenter à son agent de probation, faire des travaux communautaires, se trouver un emploi ou retourner à l’école. Il doit également respecter un couvre-feu qui l’oblige à demeurer chez lui de 22 heures à 6 heures du matin. «J’avais 21 ans. J’étais toujours un hors-la-loi. Je n’ai pas respecté mes conditions. J’ai travaillé pendant trois mois sur des ailerons de voiture. Pour le satisfaire, je donnais des papiers à mon agent attestant que je continuais de travailler. La seule chose, c’est que je devais être là pour recevoir son appel. Il le faisait entre 23 heures et minuit. Dès que je lui avais parlé, je partais. J’allais vendre. Ça ne m’a pas arrêté.»

Des appels, Général en rate plusieurs. Il doit retourner au tribunal s’expliquer. Il est mis à l’épreuve pour une période de 6 mois. «Je ne pouvais plus manquer d’appels et j’ai décidé de retourner à l’école pour terminer mon secondaire. Mais je n’y allais pas souvent. Je ne dormais pas de la nuit. Je vendais.»

Un blood se questionne

gang-de-rue-blood-crips-gangs-criminaliteGénéral continue son business. S’il se fait interpeller par un policier, la prison l’attend illico. Il fait davantage attention, fait  profil bas. Une fois son sursis terminé, il est arrêté pour extorsion. C’est le retour au pénitencier jusqu’au procès. Général y reste six mois avant d’être déclaré innocent. Mais ce deuxième rappel à l’ordre le bouleverse. «Là, j’ai commencé à me poser des questions. Je l’ai gardé pour moi. Je ne voulais plus faire d’activités flagrantes. Quand les gars voulaient faire une action grave et qu’ils m’appelaient, je n’y allais pas. Je ne voulais pas retourner en dedans. Mais j’étais toujours un blood. Je les représentais.»

Général est mal à l’aise. Il nage entre deux eaux. Il continue à frayer avec sa famille Rouge, à pousser pour faire encore plus d’argent. Mais quand il est question de livrer bataille, il se sent comme un étranger. Ce n’est plus pour lui. Il ne se reconnaît plus, lui le premier à vouloir se battre, à être de tous les coups durs.

Intérieurement, il se sent de plus en plus seul. Jusqu’à ce qu’un autre membre lui fasse part de son propre malaise. «J’avais un ami, un arabe, qui se questionnait aussi. On s’appuyait. On avait un emploi tous les deux, alors on restait plus souvent chez nous. Mais on se présentait aux événements et aux réunions du gang. On était moins présents, les autres savaient qu’on travaillait à l’extérieur. Mais on était toujours des membres.»

Fuir le gang de rue

Général décide de prendre ses distances pour quelque temps afin de comprendre ce qu’il vit. «Je suis allé chez ma sœur, à Ottawa. Je voulais m’en sortir. Mais j’avais toujours ma mentalité street.»

Général observe la vie de la rue, à Ottawa. Il remarque qui contrôle la vente de la drogue. Tout naturellement, il se lie avec eux et les relie avec sa famille de Montréal-Nord. «À Ottawa, ça ne joue pas fort comme à Montréal. Ici, on allait tabasser le monde pour dire que c’était nous qui contrôlions le territoire. Ça ne se faisait pas vraiment à Ottawa… avant que je n’arrive!»

Général se bâtit un gang de Rouge dans la capitale fédérale. Il coupe les ponts avec eux aussitôt qu’il revient à Montréal. Une première rupture qui l’aidera plus tard à quitter sa famille de Montréal-Nord.

Pendant son séjour à Ottawa, son gang s’habitue à ne pas le voir dans les parages. Peu à peu, le lien se défait. «Ils me voyaient de moins en moins. Un gang, ce n’est pas comme les motards. On n’a pas de comptes à rendre. C’est plus facile de quitter. On ne me tirera pas parce que j’en sais trop. Quand je suis revenu d’Ottawa, on m’a juste dit Yo Général, t’étais où? J’étais parti habiter chez ma sœur à Ottawa.»

La désaffiliation d’un gang de rue

Général quitte graduellement les Blood et sa mentalité de criminel. Mais il vit seul son processus de désaffiliation. «Je ne l’ai pas dit à mes proches. Quand on me demandait pourquoi on ne me voyait plus, je répondais que j’étais relax. Je ne leur ai pas dit que je voulais partir. Ce n’est pas du monde attentif. Je n’ai pas peur de le dire, mais ils ne sont pas réceptifs. Certains ne l’accepteraient pas. Ces dernières années, ils ont vu que j’avais changé. S’il fallait battre quelqu’un, faire peur à du monde, on m’appelait de moins en moins. Je disais que je voulais changer de vibe. Ils le voyaient. Mais certains ne comprenaient pas. Ils agissaient mal avec moi. Général nous laisse tomber? Il se prend pour qui? Dans un gang, tu dois toujours être présent, actif. Je m’éloignais encore plus d’eux.»

Son second séjour en prison le pousse à se questionner. Il n’a pas envie de passer ses jours derrière les barreaux. Il ne veut pas être ce genre de modèle pour ses parents, ses frères et sœurs. «J’en avais marre que le monde autour de moi souffre. Je voulais le meilleur pour ma famille, pour mon petit frère. Plus il vieillissait et plus je m’investissais auprès de lui. Il fallait que je lui montre l’exemple. Ce n’est pas la prison qui me donnerait l’occasion d’accomplir quelque chose.»

Mais changer de mentalité est ardu. Général en souffre. «Ça m’a pris subitement. J’avais peur de me faire prendre, peur du temps que j’avais à perdre en prison. Je «paranoïais»,  je voyais des morts, je vomissais. Je n’étais vraiment pas bien dans ma peau. J’ai réalisé que j’avais une vie devant moi. J’ai pris conscience que si je passais ma vie en dedans, je perdrais ma copine, ma famille et mes amis disparaîtraient.»

Après cette bataille avec la folie, Général reprend le contrôle de sa personne. «Je me suis réveillé un matin et j’ai décidé que c’était terminé. C’est la volonté. Comme un fumeur qui veut arrêter. J’étais tanné. Je ne voulais plus de cette vie. Je m’éloignais du monde qui pouvait m’apporter des problèmes.»

L’exil du gang de rue

Pour se faciliter la vie, Général quitte Montréal. Il accompagne sa petite amie qui part étudier à Sorel-Tracy. Il s’isole avec elle. «J’ai changé de numéro de téléphone. Seuls mes proches l’avaient. Pas de membres du gang. Ma copine allait à l’école et moi je voulais changer d’air. Au début, à Montréal, elle me voyait arriver avec beaucoup de stock. Mais quand j’ai décidé d’arrêter, je ne touchais plus à rien. J’ai fait des démarches pour me trouver un emploi et terminer mon secondaire. Je commençais à être dans ma bulle. Ma copine voyait que j’étais seul, que je ne sortais pas de la maison. J’étais toujours stressé. Couper sec, ce n’est pas facile. Je n’étais toujours pas bien. Je changeais de mentalité et le monde autour de moi ne comprenait pas. Je n’avais pas envie d’aller voir mes amis parce que je savais que ça finirait mal.»

Général, dans son cocon à Sorel-Tracy, épuise toute sa paranoïa. Il se métamorphose. «C’était dur parce que je devais changer complètement mon mode de vie. Je devais tout changer. Refaire mon cercle social, trouver le moyen de faire de l’argent. Comment j’allais payer les factures? Ça me stressait. Avant, quand j’avais besoin d’argent, c’était facile. Juste à vendre. C’est là que j’ai commencé à m’investir dans la musique. J’y défoulais ma rage. L’énergie que j’ai mise dans la rue, je l’ai mise dans le rap. J’ai commencé la réalisation vidéo. J’ai fait un DVD de musique. Pour faire de l’argent. Et ça n’a pas été long avant que je m’intègre à la communauté hip-hop québécoise. Je sais comment vendre un produit. Je me suis bien débrouillé avec mon DVD. Ma mentalité de revendeur m’a aidé pour vendre ma musique!»

Le rap, sortie de secours à un gang de rue

Après son sevrage du monde, Général sort de l’ombre. Le plaisir qu’il avait de chiller avec les gars de son gang, il le retrouve avec la famille du hip-hop. Il crée des liens qui ne sont pas criminels. Et il se sert de son expérience de la rue pour s’exprimer dans sa musique. «Quand tu veux changer, le bon monde vient à toi. J’avais la volonté de changer, de faire mieux, de passer un message.»

Le passé de Général l’handicape. Il le limite dans ses mouvements. Il ne peut, par sa musique, rejoindre un public hostile à sa vie antérieure. «C’est sûr qu’il y a des secteurs où je ne peux pas aller. Je suis connu. J’ai encore des ennemis. Je suis fraîchement sorti de mon gang. Des jeunes des quartiers Pie-IX et Saint-Michel m’ont demandé d’aller tourner des vidéos chez eux. Je ne peux pas. Mon nom est encore gravé dans la tête de certains. Même si j’ai changé, je ne peux pas aller dans le camp ennemi pour dire que j’ai arrêté. Ils s’en foutent.»

Les remords d’un ancien blood

Général aimerait bien tourner la page de son parcours de blood. Mais pour y arriver, il faut d’abord qu’il fasse la paix avec lui-même. «J’aimerais m’excuser publiquement. Mais j’ai fait trop de mal à certaines personnes pour qu’elles acceptent. Comme pour moi. Je suis rentré à 9 ans dans les Rouges quand j’ai vu mon cousin se faire tabasser devant moi. Mais j’ai tapé du monde devant leurs petits frères et je les ai forcés à choisir leur camp. C’est la même histoire que j’ai vécue. C’est une roue. Je m’en rends compte. La violence engendre la violence. Tous les jeunes ont une histoire qui y ressemble. Ceux qui entrent solidement dans un gang, c’est qu’ils ont une raison sérieuse. Les autres, ils ne font que suivre. Ceux qui m’ont fait du mal, je ne les excuse pas nécessairement. Mais je dois en faire un deuil. Ce qui ne veut pas dire oublier. Ceux à qui j’ai fait du mal, je ne leur demande pas d’oublier. Mais qu’ils sachent que j’ai changé. Que je ne m’intéresse plus à la violence.»

Général sait bien qu’on ne peut réécrire le passé. Avec son expérience des gangs, il se met à rêver de ce qu’il aurait pu accomplir. «Si c’était à refaire, si je pouvais reculer de 15 ans, je ne serais pas entré dans les blood. Plutôt que d’amener des jeunes à faire du business, je les aurais fait rapper. J’en sors des gangs, des jeunes. Je leur montre qu’il y a d’autres manières d’arriver à s’exprimer, à sortir de la rue. Si j’avais fait ça dès le début, plusieurs en seraient sortis.»

Introduction Histoire des gangs de rue

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couverture  livre jean-simon copiePoésie urbaine. Je me raconte. Jean-Simon Brisebois.

Depuis 1997, Jean-Simon s’est découvert un goût pour l’écriture. Après avoir publié une trilogie poétique aux Éditions TNT(Entité en 2008, L’âme de l’ange en 2007 et Renaissance en 2006), plusieurs de ses lecteurs étaient curieux de savoir lesquels de ces textes parlaient le plus de lui. Il revient donc en force avec Je me raconte, un court récit autobiographique. Laissez-vous guider dans le monde particulier de ce jeune auteur!

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