Quand les gangs de rue entrent en guerre

Journal intime d’un membre de gang de rue qui veut s’en sortir. Général, membre très actif d’un gang de rue, change son fusil d’épaule et quitte le gang. À travers l’histoire de Général, Reflet de Société raconte la vie dans un gang de rue.

Dominic Desmarais | Dossiers Gang de rue et Criminalité

guerre-gangs-rue-montreal-nord-crips-bloods La vie de Général dans les gangs de rue a commencé au primaire, alors qu’il s’amusait à personnifier ses aînés. Puis, dès le secondaire, il s’identifie aux plus vieux en se bagarrant avec les ennemis de son clan. En vieillissant, Général est initié à la criminalité par le biais de son gang. La guerre prend un nouveau sens. Il ne défend plus une famille mais un butin. À mesure que l’argent entre, les ennemis se multiplient.

Général passe son adolescence à vouer une haine à ses ennemis, les Bleus. Petit à petit, il est embrigadé par les plus vieux qui l’initient au crime: vol, recel, vente de drogue, passage à tabac, incendie de commerces.

La rage dans un gang de rue

Sa rage se détourne peu à peu de ses rivaux. Il commence à prendre conscience de son goût pour l’argent. Il aime l’indépendance qu’il s’achète et le regard respectueux qui l’accompagne. À 17 ans, il n’écoute plus ses parents et s’éloigne de la maison. Il est un adulte qui gagne fort bien sa vie. Il couvre ses petites amies de cadeaux, s’offre une voiture de l’année, des bijoux, des vêtements. Il a de la classe. Ses amis, avec qui il roule, vivent de la même façon. Quand il les regarde, il voit sa réussite. Un dur au portefeuille bien garni qui a tout ce qu’il désire.

«J’ai remarqué que le danger et l’argent, ça attire le monde. Surtout les femmes! À chaque soir on faisait le party. On préparait nos crimes en chillant.» Le clan de Général compte quelque 70 membres. Le jeune voyou a l’embarras du choix s’il a envie de s’amuser. Et il possède l’argent pour festoyer comme il l’entend. «Je pouvais appeler un ami qui était déjà avec 5 gars. J’en appelais un autre, et c’était la même chose. Finalement, on se retrouvait à 30! On sortait et on ne faisait jamais la file. On pouvait dire n’importe quoi, faire du vacarme, être détestables, prendre toute la place dans le bar, personne n’osait nous dire de sortir. À Montréal-Nord, aucun bar ne pouvait nous refuser.» Général et son gang agissaient comme des tyrans même sur leur territoire. Rien à voir avec la guerre contre les Bleus où ils se posaient en défenseurs de leur quartier. La guerre changeait de visage.

Les Bloods et l’argent

rapper-general-rap-montreal-nord-hip-hopLa famille rouge se soude contre l’ennemi mais agit selon les intérêts de chacun. Il n’y a pas de structures, d’organisation. Les jeunes se rassemblent selon leurs amitiés et leurs affinités. «Il y en a qui veulent juste porter un gun. Ils entrent dans le gang avec leur haine. Ils sont là pour la violence. Ils veulent juste commettre des crimes. D’autres veulent une appartenance. Moi, c’était l’argent. J’étais plus un hustler qu’un trigger happy (gâchette facile). Mon crew, c’était le cash en premier.»

Au début du secondaire, Général se levait le matin pour mater du bleu à l’école. À la fin de son adolescence, c’est au pognon qu’il pense en se réveillant. «Moi je me lève le matin et je me dis: je veux une voiture. Mais si je n’ai pas gagné d’argent de la journée, je n’en dors pas! Ce n’est pas tout le monde qui fait de l’argent. Faut être wise, faut le vouloir. La majorité des membres de gang, je dirais 60 %, est pauvre. Vraiment pauvre. Ils dorment au gaz, ils ne font que traîner. Ils n’y pensent pas jour et nuit. Ils vivent dans la rue, vont dormir d’un appart à l’autre, chez des amis. On est une minorité à avoir un appart, un condo, une maison. Ceux qui traînent dans le métro, les petits revendeurs, ce ne sont pas des leaders. Ils ne sont pas sérieux.» Les centres d’intérêts des membres divergent en vieillissant. Les unions d’hier, la cause, s’effritent.

Le territoire des Bloods

gang-de-rue-montreal-nord-gang-rue-pelletier Le gang de Général cherche un territoire plus vaste à contrôler pour écouler sa drogue. Une drogue qu’il achète toujours aux plus vieux de son clan, la première génération des Rouges. De tous les groupuscules de sa génération, celui de Général roule le plus. «On faisait plus d’argent que les autres. Et on était les plus fous. Ça roulait. Le centre-ville, le West Island, Montréal-Nord. Juste avec 5 gars solides, tu peux contrôler un territoire. Et appeler du renfort au besoin.»

Quand il ne s’occupe pas lui-même de régler tout contentieux, le petit groupe de Général n’a qu’un appel à faire pour dénicher un membre qui peut faire un vol, intimider une personne ou même la descendre. «N’importe qui du groupe peut prendre une décision. Mais on les prend généralement ensemble. On s’appelle.»

Les Bloods au Centre-Ville contre les motards

gang-de-rue-rapper-general-hip-hop-gang Avides, Général et ses amis lorgnent du côté de la rue Saint-Denis, une artère importante à Montréal, pour agrandir leur territoire. «On savait que la rue appartenait aux motards. On y est allé à 20 pour attirer leur attention, montrer qu’on était là.

On vendait notre drogue. Jusqu’à ce que le boss du quartier nous aperçoive. Alors, on le confrontait. Et d’habitude, il n’y a pas grand monde pour s’opposer à lui.» Le groupe utilise un camé pour qu’il appelle son fournisseur et attend son arrivée. Ils l’ont ligoté et appelé son patron devant l’otage. «Si le boss ne voulait pas céder son territoire, on faisait passer notre message en battant son pusher.»

Général n’a pas d’émotion, quand il raconte cette partie de sa vie. Pour lui, c’est business as usual. «Nous, on tapait tout le monde. On s’en foutait, qu’ils aient des patchs. On était un gang, nous aussi. On a tapé deux ou trois de leurs gars. Ils ont dit ok, mais ne touchez pas à la rue Saint-Laurent. Vous abuseriez. Ce sont des guerriers, les motards», dit-il avec respect.

Général et son groupe, en plus de leurs visées expansionnistes, doivent protéger ce qu’ils contrôlent. Ce qu’ils ont fait aux motards, sur St-Denis, d’autres les imitent pour leur voler ce qu’ils possèdent.

La violence attire la violence

general-blood-gang-de-rue-montreal-nord-gangs Si l’un de ses jeunes vendeurs se fait tabasser par des ennemis qui lui envoient un message, Général doit réagir. «Je n’ai pas d’autre choix que de répliquer. Sinon, mon jeune n’aura plus confiance en moi. Et les autres non plus. On devait régler le problème. Dans ce milieu, tu sais qui ne t’aime pas, qui te surveille. C’est facile de faire parler quelqu’un. Si on juge que ça prend une raclée pour se faire comprendre, on le fait. Mais ça peut mal tourner. Car si on débarque dans un endroit et que les gens sont armés, tout peut arriver.»

Général et son gang se battent pour leur business d’abord. Ils marchent sur les plates-bandes des Bleus, des motards et de la mafia. Et leur affiliation aux Rouges les amène aussi à épouser les guerres des autres membres du clan. Les business des uns créent des problèmes à tous. «Les motards n’ont peur de rien. Ils ont des gangs qui existent juste pour tuer. Ils sont aussi salauds que nous. Eux aussi vont tirer dans le tas, peu importe qui est là. Ça a été nos plus grosses guerres. En fait, la guerre avec les motards a duré un an. C’était celle des plus vieux Bloods.» Général parle avec respect de ces ennemis avec qui il a croisé le fer. Mais le ton change quand il aborde le sujet de la mafia.

Mafia, police et politiciens

«Ce sont des peureux! Côté bagarres, ils ne peuvent pas répondre. Ils ont beaucoup plus que nous à perdre. On peut détruire leurs commerces. Eux ils peuvent juste nous tuer. Et ça va leur coûter 50 000$ pour engager un tueur qui va assassiner un seul gars! Nous, ça ne nous prend rien! Pendant la guerre avec les Italiens, en une soirée, on leur a brûlé sept bars! Ils perdent beaucoup. Ce qui les sauve, c’est qu’ils sont partout. Ils ont la police et les politiciens dans leur manche.»

Mais l’ennemi, quand on fait la guerre pour l’argent et le pouvoir, peut prendre les traits d’un ami. Même au sein de la famille, les frictions surviennent. Le meilleur ami de Général, très ambitieux et productif, s’est fait tirer dans la jambe par l’un de leurs bons camarades après que celui-ci lui ait fait comprendre qu’il ne rapportait pas assez d’argent. «Ils sont restés les deux dans le gang mais ils ne se parlent plus. Ça a divisé le groupe. Ils se parlaient dans le dos. Mais on vient de la même clique. Celui qui a tiré, on lui a fait comprendre qu’on n’était pas d’accord avec son acte. Je ne le voyais plus autant, après. Il a pris son trou.»

Le cycle des générations se poursuit. Les amis de Général, avec leur business, vont se distancer de la guerre, mauvaise pour les affaires. Ils vont laisser aux plus jeunes le soin de faire les mauvais coups pendant qu’ils font fructifier leur argent. La violence se poursuit.

Introduction Histoire des gangs de rue

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couverture  livre jean-simon copiePoésie urbaine. Je me raconte. Jean-Simon Brisebois.

Depuis 1997 Jean-Simon s’est découvert un goût pour l’écriture. Après avoir publié une trilogie poétique aux Éditions TNT(Entité en 2008, L’âme de l’ange en 2007 et Renaissance en 2006), plusieurs de ses lecteurs étaient curieux de savoir lesquels de ces textes parlaient le plus de lui. Il revient donc en force avec Je me raconte, un court récit autobiographique. Laissez-vous guider dans le monde particulier de ce jeune auteur!

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