JayCee Beyale

Entre tradition et modernité

Je suis un artiste navajo (Nouveau-Mexique). J’ai grandi dans une petite ville,  Farmington. Je réside depuis deux ans à Colorado Springs (Colorado). Mon identité et mes antécédents ont toujours été présents dans mon travail, car je suis fier de qui je suis et d’où je viens. Mon lien à la culture autochtone est fortement influencé par mon implication dans les arts.

Flora Lassalle | Dossiers Autochtone, Artistes, Culture

Qu’est-ce que te relie à la culture autochtone?

Mon grand-père paternel était un médecin-chaman qui a consacré sa vie à aider les autres. À l’aide de chants et de peintures de sable, il guérissait et rétablissait l’équilibre de ses patients. Mon grand-père fait partie intégrante de qui je suis et d’où je viens. C’est bon pour moi de rester en contact avec mon passé et de partager mon talent avec les autres de la même manière. Le fait d’avoir vécu loin de la maison (la réserve) m’a donné l’occasion de partager ma culture avec les non-autochtones et de les aider. De cette façon, je suis rattaché à  la culture autochtone au quotidien, que ce soit dans le partage avec les autres ou dans l’expression de cette culture à travers mon travail.

J’implique tout mon être dans chacune de mes œuvres, c’est ce qui me garde connecté à ma culture autochtone. Ça se ressent dans la majorité de mes œuvres. C’est un peu ma signature. Il est difficile d’ignorer cette connexion dans mon travail parce que pour moi, elle est très puissante et spirituelle. Quand je peins, je me sens bien. Je crée avec grâce et gratitude. Je suis très chanceux de posséder des talents que je peux mettre au service de ma passion. Je ne crée pas par «amour des arts», mais pour ma survie, j’ai ça dans le sang. Ce facteur englobe tout ce que je réalise. Nous les Autochtones, nous avons utilisé la nature pour nous aider à maintenir l’existence. Je reproduis cela dans mes œuvres.

Comment as-tu découvert l’art urbain?

art autochtone artiste amérindien culture navajoJ’ai découvert l’art urbain et le graffiti grâce à mon frère aîné. Il revenait à la maison et pratiquait des tags qu’il apprenait avec ses amis mexicains (Cholo). Nous avons été élevés dans une ville frontalière pas trop loin de la réserve. Nous avons grandi entourés de plusieurs ethnies. Quand il a commencé à s’entraîner avec ses amis Cholo, il a créé des alphabets inspirés par les gangs de rue. Ce que nous avions à l’époque au Nouveau-Mexique était très similaire à ce que les gangs faisaient sur la Côte-Ouest des États-Unis.

J’ai trouvé ses dessins très beaux. J’ai commencé à les regarder régulièrement, jusqu’à lui demander de me créer un alphabet. Avec ce qu’il m’a donné, j’ai commencé à copier et à développer mon propre style de lettres. Lorsque nous allions visiter la famille dans des villes comme Albuquerque, Nouveau-Mexique et Phoenix, en Arizona, je regardais les graffitis et les peintures sur les murs. Je savais qu’il y en aurait toujours des nouveaux et je passais mon temps à les chercher, à les observer.

Sans avoir fait de graffitis, ma sœur écrivait déjà en lettres en forme de bulle sur ses manuels scolaires et dans des courriers pour ses amis. Elle avait un esprit super créatif. Elle a développé un style qui me plaisait que je me suis approprié.

Après que mes frères m’aient introduit aux bases du graffiti, j’ai commencé à dessiner beaucoup plus et à ajouter mes propres touches à ce que l’on m’avait montré. Je n’ai pas vraiment commencé à peindre sur les murs jusqu’à mon arrivée au lycée, à la fin des années quatre-vingt-dix. Avant cela, je travaillais sur du papier. Parce que je vivais dans une petite ville et que j’apprenais différentes formes d’art tout seul, il m’a fallu du temps avant d’acquérir les bons outils et réussir à produire de bonnes œuvres.

Je devais aller jusqu’à Albuquerque (à trois heures de route de chez moi) pour acheter des cannettes et rencontrer des artistes susceptibles de m’apprendre certaines techniques. Je m’exerçais alors dans une réserve, car c’était beaucoup plus sûr qu’en ville. J’avais déjà tellement de problèmes que je ne voulais pas me faire harceler par mes parents pour ça.

L’année dernière (2012), mes toutes premières œuvres réalisées dans la réserve ont été effacées. Ça m’a un peu découragé parce que je pensais qu’elles resteraient là beaucoup plus longtemps.

Quel est ton parcours artistique?

art autochtone artiste amérindien jaycee beyale culture navajoLorsque j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires, je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire de ma vie! Un ami de la famille m’a aidé à m’inscrire au collège, j’ai été très chanceux d’avoir pu le faire.

À cette époque, personne dans ma famille n’avait fréquenté une université, ni même obtenu le diplôme collégial. Lorsque je suis rentré à l’Université du Nouveau-Mexique à Albuquerque, j’ai commencé à réaliser que j’étais unique, non seulement à cause de mes capacités artistiques, mais aussi parce que j’étais Amérindien.

En grandissant, j’ai appris beaucoup de choses sur les autres tribus et leurs chefs, en lisant des livres et en faisant attention à ce qu’il se passait autour de moi. Quand je suis entré au collège, ma soif de connaissances s’est intensifiée!

J’ai pris quelques cours à travers le programme d’études américaines autochtones, j’ai participé à une organisation étudiante autochtone et me suis entourée d’autres personnes autochtones de différentes tribus. Elles sont devenues ma nouvelle famille, elles m’ont beaucoup appris sur moi-même et m’ont encouragé à exploiter mon talent et à l’utiliser comme un outil pour améliorer notre avenir. Albuquerque n’est pas une très grande ville, mais moi, à cause de mes origines, je la trouvais immense! De plus, en vivant dans une ville, j’avais la chance de profiter de l’électricité et de tous les équipements modernes;  j’ai voulu combiner cela avec la culture autochtone traditionnelle et ses coutumes.

Aujourd’hui, j’en suis encore à essayer de trouver une voix pour parler de ça avec mon art. C’est de là que proviennent toutes les couleurs voyantes et les mouvements exprimés dans mon travail.

Ma spécificité réside bien sûr dans le fait que je graff, mais aussi dans l’utilisation d’ordinateurs pour générer de l’art et dans mon statut d’Amérindien dans l’univers technologique qu’est le monde aujourd’hui.

Le graffiti se vit souvent en crew (en groupe). L’as-tu déjà expérimenté?

Je n’ai jamais été vraiment attiré par un crew. Quand j’étais enfant à l’école secondaire, j’ai échangé des dessins et des croquis avec des amis. Nous étions une sorte de crew à l’époque, mais ça n’a pas duré longtemps. Aujourd’hui, j’ai été invité à faire partie de différents crews, mais je préfère juste continuer à faire ce que j’ai besoin de faire et de créer. J’ai toujours peint c’est ce que j’aime le plus. Je pense qu’il y a des avantages à faire partie d’un crew, peut-être qu’un jour j’en rejoindrai un. Mais pour le moment, je peins et me bats pour les peuples autochtones!

Ton travail mélange culture autochtone et modernité, qu’en pense les peuples autochtones et les graffiteurs?

art amérindien culture navajo autochtone artiste indienDe ce que j’ai vu et vécu, je pense que la plupart des Autochtones commencent petit à petit à apprécier mon travail. Ce qu’ils préfèrent, ce sont bien sûr mes œuvres les plus traditionnelles comme mes aquarelles. Ils aiment ce style! Il s’agit de mon travail le plus facile à approcher et à comprendre en raison de la forte présence des Amérindiens et des caractéristiques très subtiles du graffiti que l’on retrouve dans la couleur aléatoire des nuages, des éclaboussures et des gouttes.

Les couleurs plus audacieuses et la symétrie des mouvements dans mes dernières pièces prendront certainement plus de temps à être acceptées. C’est un regard nouveau auquel ils ne sont pas habitués. Mais je ne suis pas trop inquiet à ce sujet. C’est quelque chose que je veux affiner et développer pour l’exprimer avec une voix plus claire. Je suis actuellement en train de passer de la peinture aquarelle à la peinture à l’huile pour une approche plus technique, avec une palette plus riche.

Les graffiteurs quant à eux aiment ce que je fais! C’est drôle parce que j’ai été connu sous l’étiquette de l’artiste qui a étudié les beaux-arts alors que j’ai grandi en dessinant et en faisant des graffitis. Ce fut la seule raison pour laquelle j’ai continué à étudier et à explorer plus de styles et de médiums.

Ce fut une surprise pour la plupart des graffiteurs quand ils ont réalisé que je pouvais peindre avec des cannettes comme je le faisais avec des pinceaux! Ils aiment le style autochtone du Sud-Ouest, donc lorsqu’ils le remarquent dans mon graff, ça les rend vraiment enthousiastes!

Que veux-tu transmettre par tes œuvres?

Avec le travail que je fais parvenir, je veux que les gens sachent que le graffiti et l’art urbain sont seulement une partie de ce que je suis. J’aime l’art et je tente toujours de renouveler les médiums pour m’exprimer.

Bien sûr, tout ce que je réalise découle de mon passé et de ma culture parce que je veux que les gens prennent conscience que nous, les peuples autochtones, nous sommes toujours là et que nous pouvons nous exprimer dans un style contemporain. Bien que mes œuvres puissent paraître jolies et transmettre la beauté, il est important de garder en tête que je suis autochtone et que les peuples que je représente sont encore pris entre les griffes de la colonisation et de la modernité. Même si cela est difficilement acceptable et qu’on ait encore à se battre, on s’adapte et on avance, comme tout le monde. Les va-et-vient entre les beaux-arts et l’art urbain que l’on retrouve au sein de mon travail sont le symbole de tout cela. C’est ma façon comme artiste d’aider les gens à guérir de leurs maux.

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Bistro le Ste-Cath

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Situé en plein cœur d’Hochelaga-Maisonneuve, au sud du Stade Olympique, à l’est de PIE-IX. 4264 Ste-Catherine est.

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