Un texte d’Arianna Noera publié sur Reflet de Société | Dossier Justice et Politique

Par Arianna Noera

Le 26 mai 1995, 800 femmes résidentes de Montréal, Longueuil et Rivière-du-Loup se mettent en marche vers Québec. Elles manifestent contre la pauvreté des femmes au Québec, qui était en augmentation depuis 1993. Cet événement ce sera appeler La marche du pain et des roses.

Le Québec sera une des provinces des plus affectée, avec la hausse du taux de chômage de 8,1 % en 1990 à 13,2 % en 1993. Vivant sous le seuil de la pauvreté, les mères de famille monoparentales et les femmes se retrouvant au chômage seront les plus touchées par cette crise. La protestation avait pris la forme d’une marche entre Montréal et Québec, où il devait se tenir une manifestation devant l’Assemblée nationale pour dénoncer la détresse économique. L’organisation de l’événement était promue par la Fédération des femmes du Québec (FFQ).

La FFQ

Cet organisme voit le jour en 1966, 26 ans après l’obtention du droit de vote des femmes au Québec. La fédération avait comme but la défense des droits et des intérêts des femmes par la lutte sociale collective. La fondatrice est Thérèse Casgrain, représentante du mouvement suffragiste québécois entre les années 20 et 40. Mme Casgrain, avec Idola Saint-Jean (de l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec), seront les visages de ce mouvement qui mènera, le 25 avril 1940, au droit de vote et à celui de candidature électorale pour les femmes au Québec.

La Belle Province sera la dernière de tout le pays à accorder le suffrage aux femmes. Les femmes autochtones ont cependant attendu 1969 pour acquérir leur droit de vote et de se présenter comme candidate à un poste politique. Thèrese Casgrain sera aussi la première femme à la tête d’un parti politique au Québec. En 1951, elle sera élue chef de l’aile provinciale de la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC). Idola Saint-Jean, pour sa part, sera la première candidate (libérale) indépendante dans le comté de Saint-Denis, sur l’île de Montréal.

En 1994, Françoise David est élue présidente de la FFQ. Mme David insiste pendant son mandat sur la justice sociale et le combat contre la pauvreté féminine au Québec. Il a fallu un an (entre 1994 et 1995) d’organisation et de travail bénévole pour arriver à coordonner cette marche des Québécoises; 27 municipalités ont hébergé les dizaines de manifestantes, 800 femmes réunies à Québec au terme de la marche. Le but était le même pour toutes, même si les générations, milieux sociaux et professionnels étaient des plus diversifiés.

Françoise David écrit en 2020 : « Elles venaient de partout, de toutes les régions, de tous les milieux. Les militantes féministes étaient au rendez-vous. Mais beaucoup de femmes sont venues parce que, disaient-elles, cette marche était pour elles, pour leur voisine qui en arrachait, pour leurs grands-enfants qui cherchaient du travail » (Le Devoir, 2020). Mme David a coordonné cette organisation avec Manon Massé devenue co-porte-parole de Québec Solidaire et Diane Matte (coordonnatrice de la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 et porte-parole de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle).

Naissance de la marche

Des militantes participaient à la marche comme modèles de la diversité et de l’unité des femmes québécoises. Des marraines comme Michèle Rouleau, militante féministe autochtone, France Castel, chanteuse et animatrice, Chantal Petitclerc, championne paralympique, et Marie-Claire Séguin, coautrice de la chanson « Du pain et des roses ».

Pourquoi le nom « Du pain et des roses » ? Il fait référence à une marche ayant eu lieu en 1912 à New York. Des ouvrières de l’industrie textile avaient marché sous le slogan « We want bread and roses, too! » (Nous voulons du pain et des roses), paroles prononcées par Helen Todd et repris dans le poème de James Oppenheim, dédié aux femmes de l’Ouest, probablement inspiré par des militantes syndicales.

Dans ce contexte, le pain fait référence au salaire juste et équitable, les roses évoquent des conditions de travail dignes. Cette devise sera aussi reprise par la FFQ durant la marche. L’histoire des manifestations féministes est longue. Elle commence au XVIIIe siècle et se poursuit toujours aujourd’hui, et le concept de la « Marche pour le pain » est ancré dans l’histoire commune.

Revendications

En 1995, la marche québécoise avait neuf revendications principales :

• la création d’infrastructures sociales avec des emplois accessibles;

• l’adoption d’une loi sur l’équité salariale et la perception automatique des pensions alimentaires;

• l’élargissement de l’application des normes du travail; 

• l’augmentation du salaire minimum;

• la création de logements sociaux;

• l’amélioration de l’accès à la formation générale et professionnelle;

• la réduction de la période du parrainage des femmes immigrantes par leur mari;

• l’instauration d’aide pour les victimes de violence conjugale et familiale ;

• le gel des frais de scolarité et l’augmentation des bourses d’études.

La volonté des militantes était de créer un environnement propice pour la sortie de l’état d’indigence prédominant dans le contexte social de la crise économique canadienne.

Le 4 juin 1995, les groupes en provenance des régions de l’ouest et de l’est du Québec arrivent aux Plaines d’Abraham avant de se rendre devant l’Assemblée nationale à Québec. Jacques Parizeau, premier ministre de l’époque, et ses ministres répondent aux exigences des manifestantes. Les salaires allaient être augmentés de 0,45 $/l’heure, les frais de scolarité seraient gelés pour l’année courante, 1200 logements sociaux allaient être créés ainsi que de nouvelles infrastructures mises en place pour établir de nouveaux postes de travail. Une loi proactive sur l’équité salariale est approuvée, les années d’engagement de parrainage d’un conjoint envers sa conjointe immigrante, qui est résidente permanente grâce au parrainage, deviennent rétroactives, passant de dix à trois ans, et le gouvernement s’engage à ce que chacun des travailleurs ne soit payé en dessous du salaire minimum prévu.

Résultats mitigés

La victoire sera considérée comme amère. L’augmentation de 45 sous sera accueillie comme une défaite. En fait, elles demandaient que le salaire minimum passe de 6 $ à 8,15 $/heure. Le refus du gouvernement d’accorder l’augmentation des montants des bourses pour les étudiants, surtout ceux avec des enfants, sera un coup dur pour les manifestantes.

Ces victoires, même si elles sont vues par certaines comme une déception, ouvriront la porte à un nouveau rapport de force entre le mouvement des femmes québécoises et le gouvernement. Ce dernier sera aussi mis à rude épreuve en 2000 avec la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence faite aux femmes qui ne sera pas accueillie avec la même sensibilité qu’en 1995.

Louise Harel, à l’époque ministre de l’Emploi, déposera en 1996 le projet de Loi sur l’équité salariale qui mènera aussi à la création d’Emploi-Québec. « La présente loi a pour objet de corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d’emplois à prédominance féminine. » (Chapitre 1, Loi sur l’équité salariale, www.legisquebec.gouv.qc.ca)


DU PAIN ET DES ROSES
poème de James Oppenheim (traduction du Syndicat des Travailleuses des postes)

Pendant que nous marchons, marchons dans la beauté du jour

Un million de cuisines sombres, un millier de greniers mornes

Sont touchés par des rayons de soleil radieux et soudains

Alors qu’on nous entend chanter, du pain et des roses, du pain et des roses!

Pendant que nous marchons, marchons, nous luttons aussi pour les hommes

Car ils sont les frères des femmes et nous marcherons de nouveau avec eux

Nos vies ne seront pas passées à suer de la naissance à la mort

Le cœur a faim tout comme le corps, 

Donnez-nous du pain, mais aussi des roses 

Pendant que nous marchons, marchons, d’innombrables femmes mortes

Pleurent pendant que nous chantons, notre cri pour du pain

L’art, l’amour et la beauté que leur âme de servantes renfermait

Oui, nous luttons pour du pain, mais nous luttons pour des roses aussi 

Pendant que nous marchons, marchons, nous nous tenons bien droits

La montée des femmes est notre montée à tous

Finies les corvées et enfin on se repose

On partage les gloires de la vie du pain et des roses, du pain et des roses

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Suggestion littéraire

«Zoé Saurais Empereur est partisane d’une poésie confessionnelle. Dans BlasFemme elle aborde, avec une écriture directe et parfois provocante, les thèmes de l’identité et du quotidien. Son texte, sans compromis, est à la fois inclusif, sociétal, volcanique et revendicateur. Ses mots, d’une extrême lucidité, oscillent entre slam et poème, et comme son auteure, se tiennent bien droits devant chacun d’entre nous.»
Christophe Condello

«Poète engagée, Zoé Saurais Empereur incarne un féminisme sans compromis. Elle nous offre des textes coups de poing, qui nous touchent tout en nous amenant à réfléchir. Il suffit de l’avoir entendue lire ses textes sur scène et d’avoir vu la réaction du public pour en être convaincu : cette jeune artiste est promise à un brillant avenir.»
Sylvain Turner

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