Observer les erreurs des autres

Lorsqu’un grand singe des jungles d’Afrique centrale tombe d’une falaise, ses semblables se rassemblent au sommet de la falaise et regardent en bas, en silence. Le rituel dure autour de 15 minutes, selon ce qu’on a observé du comportement de ces proches cousins des humains. Ensuite, les grands singes retournent à leur vie quotidienne. Et durant une longue période après l’événement, ils évitent de fréquenter la paroi de la falaise.

Colin McGregor, prison de Cowansville | Dossiers Prison

Pour nous aussi, c’est inscrit dans nos gènes : nous apprenons en observant les erreurs des autres. C’est pourquoi les voitures ralentissent sur le boulevard Métropolitain pour observer un accident, même lorsque la voie n’est pas bloquée. Et pour la même raison, les gens lisent des histoires de crimes dans les journaux, ou les regardent au canal D. Alors qu’ils ne s’investissent pas autant, en général, dans les soupes populaires, les centres de réinsertion sociale ou les prisons.

Le sport en prison

Par définition, la prison rassemble des personnes qui ont perdu. Mais il reste encore un lieu, au pénitencier, où les hommes (et les femmes) peuvent encore vivre des heures de gloire, et il s’agit du terrain de sport. On est très athlétique en prison.

Les compétitions de balle molle viennent de se terminer. Mon ami est enfermé depuis 20 ans et il manque une pièce à son corps, à la suite d’une fusillade avec des policiers (je ne dirai pas quelle pièce, pour ne pas qu’on puisse l’identifier). Je tombe sur lui dans la cour.

«Tu m’as regardé lancer?» me demande-t-il.

Je lui mens: «Oui, tu étais brillant.»

«Il y avait du mouvement dans ma balle, eh?»

«C’est sûr. Ils ne pouvaient te battre.»

Il a un grand sourire. «Je suis le roi!» Et il s’en va en sifflotant.

Quelques minutes plus tard, je tombe sur le capitaine de l’équipe perdante et grand favori des finales de balle molle. Il soulève des poids, furieusement.

«Désolé», lui dis-je.

«Tu as vu?»

«Un peu.» En réalité, je lisais mon roman d’espionnage dans un autre coin de la cour. Les gradins, autour de notre terrain négligé et poussiéreux, étaient remplis.

«Je me suis laissé aller, dit-il, essoufflé, entre les premiers matchs et les finales.»

J’acquiesce: «Tu avais perdu le rythme.»

«Oui, Colin, exactement. Nous gagnons toujours. L’année dernière, l’année d’avant. Je suis le roi!»

J’approuve et je me sauve en direction d’un coin de la cour où je pourrai continuer de lire mon roman d’espionnage.

Une émeute en prison

Je me souviens d’un matin d’août brumeux, en 1990, dans une autre prison. C’était durant les demi-finales de balle molle. Un détenu fut poignardé pendant la partie. Il faisait chaud et humide, nous en étions à la dernière manche et le compte était égal, lorsque l’alarme retentit et qu’on nous ordonna, par haut-parleurs, de retourner immédiatement à nos cellules.

Mais la partie continua et les détenus huaient les gardes. Alors que le soleil se couchait derrière la clôture, derrière le marbre, les joueurs frustrés mettaient le feu aux poubelles. La partie était terminée, mais des douzaines de détenus refusaient de retourner vers leurs blocs cellulaires.

De mon côté, j’étais retourné vers ma cellule et je sommeillais sur ma paillasse, à 2 heures du matin, lorsque j’ai entendu le bruit sourd des grenades lacrymogènes tirées par des fusils militaires, qui me parvenait du terrain de balle et résonnait jusque dans le petit poulailler qui me sert de cellule.

À cause de cette émeute, je n’ai pas eu accès à la bibliothèque durant des mois. Mais on a permis aux camions de la télé de stationner juste à l’extérieur des clôtures. Ça m’a donné quelque chose à regarder à l’écran, pendant quelque temps; des images prises dans la brume d’une journée humide et les nuages de gaz lacrymogène; des images de vie vacillantes sur un terrain de balle molle, éclairant faiblement une sombre nuit de prison.

Référence au film Gorilles dans la brume (1988), dans lequel Diane Fossey raconte ses 13 années de vie et de recherches au sein d’une communauté de gorilles de montagne, ainsi que son combat en faveur de cette espèce.

Autres textes de Chroniques d’un prisonnier

    Les livres de Colin McGregor

    Journaliste dans divers médias à travers le pays; Halifax Daily NewsMontreal Daily NewsFinancial Post et rédacteur en chef du Montreal Downtowner. Aujourd’hui, chroniqueur à Reflet de Société, critique littéraire à l’Anglican Montreal, traducteur et auteur aux Éditions TNT et rédacteur en chef du magazine The Social Eyes.

    Parmi ses célèbres articles, il y eut celui dénonçant l’inconstitutionnalité de la loi anti-prostitution de Nouvelle-Écosse en 1986 et qui amena le gouvernement à faire marche arrière. Ou encore en Nouvelle-Écosse, l’utilisation répétée des mêmes cercueils par les services funéraires; scoop qui le propulsa sur la scène nationale des journalistes canadiens.

    love-in-3dLove in 3D

    Enjoy our tale of the quest, the human thirst, to find light from within the darkness.

    This is a tale for everyone, young and old, prisoner and free.

    Love in 3D. Une traduction de L’Amour en 3 Dimensions.

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    Three teenage friends on a college rugby team in the shrinking community of English Montreal – three friends each facing wildly different fates.

    This is the story of Bill Putnam, whose downward trajectory we first begin to trace in the late 1970s, and his friends Rudy and Max.

    Teammates, their paths will cross in ways they never dreamt of in the happier days of their youth.

    quebec-suicide-prevention-handbook-anglais-intervention-crise-suicidaireQuebec Suicide Prevention Handbook

    Le suicide dérange. Le suicide touche trop de gens. Comment définir le suicide? Quel est l’ampleur du suicide? Quels sont les éléments déclencheurs du suicide? Quels sont les signes avant-coureurs? Comment intervenir auprès d’une personne suicidaire? Comment survivre au suicide d’un proche?…

    Ce guide est écrit avec simplicité pour que tout le monde puisse s’y retrouver et démystifier ce fléau social. En français. En anglais.

    Par téléphone: (514) 256-9000, en région: 1-877-256-9009
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