Nous nous promenons dans la cour arrière de la prison, marchant lentement à sens contraire des aiguilles d’une montre. Un silence étrange pèse aux alentours. Aucun avion au-dessus de nos têtes. Quelques rares automobiles et camions passent sur la route adjacente. Le monde s’est arrêté. Mis sur pause. 

Un texte de Colin McGregor publié sur Reflet de Société | Dossier Chronique d’un prisonnier

C’est vrai qu’il y a plus d’oiseaux, et plus de sortes d’oiseaux. Il n’y a pas si longtemps, nous regardions un faucon grignotant un cadavre de marmotte. Il se tenait sur l’accotement de la route d’habitude si occupée. La nature a repris ses droits et occupe l’espace jadis encombré par les embouteillages. Comme nous n’avons presque rien à regarder durant nos trois heures de cour quotidiennes, nous remarquons les moindres détails.

Nous sommes bien traités, ici. Nous sommes chanceux. L’autre prison juste au bas de la route, elle, est dans un piètre état – on y compte plus de 100 malades, et quelques décès. Le virus a fait son entrée là-bas, comme s’il attendait que nous baissions notre garde pour s’infiltrer ici. Voilà pourquoi nous devons porter nos masques chirurgicaux lorsque nous sortons, et rester à une distance de six pieds de nos pairs, ceux qui résident dans une unité différente de la nôtre. Nous sommes tous en état de choc. Les sorties, les cours, les activités à la chapelle, le programme des douze étapes, tout ça fait désormais partie du passé, tout comme nos bons souvenirs du temps d’avant la pandémie. Il n’y a personne à blâmer. On ne peut que regretter les gestes posés dans notre vie antérieure… Des regrets qui s’enveniment dans le vide d’une société qui se cache d’un virus derrière des masques, des gants et de la distanciation.

Nous recevons des lettres des aumôniers et des personnes qui nous sont chères. Ce sont des lettres d’encouragements qui nous aident à tenir bon. Des messages comme « ça va bien aller, » et autres choses du genre. À la télévision, nous comprenons que le problème est à la fois global et local. Les endroits où nous allions en groupe ou seul, pour offrir notre aide, sont maintenant des zones à risques. Tout le monde fait de son mieux sans pouvoir bénéficier de notre appui. Les besoins de ces gens-là demeurent les mêmes, mais nous ne pouvons plus participer à leur apaisement. Tout le monde, même les employés de la prison, doit affronter le même ennui, faire face aux mêmes peurs. Considérant cela, il m’apparait inconvenant de m’apitoyer sur mon sort.

Il est dans la nature humaine d’avoir espoir quand les temps sont durs, de voir la beauté du ciel bleu au-dessus de nos têtes plutôt que de se morfondre dans le vide d’un ciel sans avion. Maintenant, le monde entier sait ce que ça fait d’être en prison – le confinement et l’inconnu à nos portes. Si j’haïssais le monde, je pense que je prendrais plaisir aux conséquences de cette pandémie. Mais je fais partie intégrante de ce monde, même si je suis enfermé, et peut-être plus encore maintenant, en ce moment, où la nature et le silence remplissent l’abysse laissé par une société mise sur pause.

La pandémie en prison

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