« Peu importe d’où tu viens, devenir père te change », souffle Majid. Mais, traverser cette aventure dans un nouveau pays, loin de ses repères, rend le défi d’autant plus grand. Survol des enjeux rencontrés au Québec par les pères issus de l’immigration.

Un texte de Takwa Souissi publié sur Reflet de Société | Dossier Famille et Immigration

Majid est arrivé du Pakistan à l’âge de 34 ans. C’est ici qu’il a rencontré son épouse, québécoise, et qu’il a eu ses trois enfants. D’entrée de jeu, il mentionne la solitude de son expérience parentale. Il avoue également devoir s’adapter à une culture de la paternité différente de celle avec laquelle il a grandi, et qu’il estimait normal de reproduire. « Je trouve qu’ici, les pères ont moins d’autorité. Dans mon esprit, un pays a besoin d’un président, et une famille a besoin d’un leader. »

Ce décalage de perception revient souvent dans le discours des pères issus de l’immigration, confirme Stéphane Hernandez, intervenant et travailleur social du CIUSSS Centre-Ouest de Montréal, depuis 20 ans. Il en a vu défiler, des pères immigrants, et s’est rapidement intéressé à leur réalité, en réalisant même une étude auprès d’eux dans le cadre de sa maîtrise universitaire. « Ils ont l’impression que la société d’accueil est plus individualiste, et qu’elle a un parti pris pour l’enfant », remarque-t-il. 

Pour le travailleur social, il est important de miser sur cette autorité parentale naturelle et nécessaire, tout en reconnaissant que ça peut se jouer différemment au Québec. « La dernière chose à faire, c’est de regarder ces hommes de haut et leur dire ce qu’il faut faire. Pour bâtir des ponts, il faut d’abord reconnaître les sacrifices et les efforts déployés par le père qui a choisi de quitter son pays, respecter les émotions vécues », soutient-il.

Montagnes russes

Et des émotions, il s’en trouve. Dans la littérature qui traite du sujet, on observe deux tangentes pour le père immigrant. Les contraintes de l’immigration peuvent fragiliser la cellule familiale, le père étant moins présent au quotidien afin de mieux combler son rôle de pourvoyeur. Pour d’autres, elles seront plutôt un moteur pour se redéfinir et occuper un plus grand rôle dans la famille, explique Christine Gervais, infirmière et chercheuse à l’Institut universitaire Sherpa: Immigration, diversité et santé  et à l’équipe Paternité, famille et société.

La professeure a d’ailleurs mené une étude auprès de 45 enfants récemment immigrés âgés de 6 à 14 ans. « Ce qui ressort, c’est plus une confirmation de la deuxième hypothèse. Les enfants disent que leur père fait davantage de choses avec eux depuis leur arrivée au Canada. Une diversité de l’implication est également rapportée : soutien aux devoirs, tâches ménagères, sorties familiales ». L’absence de la famille proche va aussi exiger d’eux une plus grande participation aux soins des enfants. 

« C’est déstabilisant au début, ne serait-ce que le fait d’assister à l’accouchement! Mais après, ils sont fiers », souligne Mme Gervais.

Il faut dire que l’engagement paternel est, de manière générale, un enjeu peu exploité dans les médias. « Il y a moins d’attention portée aux pères, même si la majorité des enfants, à Montréal, ont au moins un parent né à l’extérieur du Canada. L’enfant doit alors faire le pont entre sa culture d’origine et la culture d’accueil ». 

La parentalité est l’une des dimensions de la vie qui est largement teintée par la culture. Qui doit prendre soin de l’enfant? De quelle manière? Qu’est-ce qu’on réprime? Quelles sont les attentes? Quel est le rôle du père? Des réponses qui varient d’un continent à l’autre. 

Peur de la DPJ

Sur le terrain, le constat général est que les pères sont très réticents à demander de l’aide, confirme Christine Gervais. « Ils vont se rendre à un degré d’inconfort élevé, que celui-ci soit matériel au mental. Et cette réalité est exacerbée chez les pères immigrants ». Parmi les facteurs en cause : méconnaissance générale des services, manque de confiance envers les intervenants, culture de l’intimité, sans compter la crainte suscitée par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

« J’avoue que j’ai vraiment peur. On m’a dit qu’on peut facilement m’enlever mes enfants et qu’il y a beaucoup de racisme dans le système », confie Adam, jeune père de deux enfants, nouvellement arrivé du Maroc. C’est l’une des raisons qui l’empêchent de recourir aux services existants pour les familles. Les intervenants sur le terrain soutiennent qu’il est primordial de démystifier le rôle et le fonctionnement de la DPJ, en soulignant notamment que la plupart des interventions sont dues à la négligence et non aux sévices physiques. 

Sans avoir nécessairement peur de la DPJ, plusieurs parents ne veulent tout simplement pas subir d’ingérence extérieure dans leur vie familiale. « Je ne crois pas que la DPJ peut vraiment m’aider. Je préfère régler mes problèmes seuls. L’ingérence extérieure ne fait qu’empirer les choses. Personne ne peut comprendre une dynamique familiale à part les membres de cette famille », soutient Majid.

La volonté d’aider les pères issus de l’immigration requiert beaucoup de sensibilité. « Il faut comprendre que les services sont souvent élaborés autour des mères, parce qu’elles en font davantage la demande. Les hommes, surtout ceux socialisés de manière plus traditionnelle, démontrent ce besoin d’être forts, avance Stéphane Hernandez. Le père immigrant se voit comme le pilier du projet migratoire et ne doit pas flancher. »

Projet-pilote 

Raymond Villeneuve est directeur général du Regroupement pour la valorisation de la paternité, une organisation financée par le ministre de la Famille visant à promouvoir l’engagement paternel au Québec. Un sondage mené en 2019 auprès de 2000 pères a mis en lumière plusieurs éléments liés à leur épanouissement. Une chose est sûre, les données sociodémographiques comptent énormément. 

« J’aimerais que l’on considère l’immigration et la différence culturelle comme des enjeux véritables quand on parle des hommes et de la paternité, parce que ça change beaucoup le soutien qu’on peut leur apporter, affirme Raymond Villeneuve. Ça fait longtemps que les chercheurs, organismes sur le terrain et intervenants en parlent, mais peu d’actions formelles ont été entreprises. Ça reste un problème peu abordé dans les politiques publiques. »

Le Regroupement pour la valorisation de la paternité réalise présentement un projet-pilote auprès de pères immigrants en collaboration avec Centraide et l’Institut universitaire Sherpa. « Le but est de mieux connaître ces pères afin de voir comment améliorer les services, développer des outils, et mieux les soutenir ». 

Le directeur du regroupement remarque tout de même une tendance positive lors de ses travaux de représentation sur le terrain. « Comme nous sommes, de manière générale, plus sensibles aux enjeux de sensibilisation et de diversité, ça donne un espace pour amener la question des pères immigrants. Je sens un plus grand intérêt et une ouverture face à la question », reconnaît-il.

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