Le rap n’aime pas les gais
En février 2009, Reflet de Société publiait le témoignage du rapper Lunatique. Le jeune homme faisait sa sortie du placard officielle. Homosexuel dans un milieu, le Hiphop, qui dénigre cette orientation sexuelle, le coming out de Lunatique a eu un impact lourd de conséquence pour le rapper Dali qui a collaboré avec lui.
Dali, originaire du Lac Saint-Jean, emménage à Montréal à 17 ans pour rejoindre son père. Grand fan de hip-hop québécois, le jeune jeannois veut vivre sa passion.
À 20 ans, en passant devant les locaux de CHOQ.FM, la radio de l’Université du Québec à Montréal, il aperçoit un adulte habillé en hip-hop. C’est Ricardo, l’animateur de l’émission de rap Trinité Radio, que Dali écoute religieusement. L’enthousiasme du jeune homme, et sa grande connaissance du rap québécois, lui valent une offre d’emploi.
Il m’a pris comme co-animateur! Même si je n’avais aucune expérience, que je faisais des fautes de français.
Dali remplace Lunatique, un rappeur nomade qui est parti vivre un temps au Saguenay. Lorsque le voyageur revient à Montréal, à l’hiver 2008, il reprend sa place à Trinité Radio aux côtés de Ricardo et de cet animateur qui connaît tout de la culture hip-hop.
On était les 3. Mais Lunatique et moi, on ne s’entendait pas super bien. Pour lui, j’étais un étranger. Il n’appréciait pas trop ma présence.
Ricardo avait prévenu Dali de l’orientation sexuelle de Lunatique.
Ça ne me dérangeait pas, qu’il soit gai. Pour moi, un homosexuel, c’est quelqu’un d’efféminé. Alex Perron, des Mecs Comiques, c’est l’image que j’avais d’un gai. Lunatique ne correspondait pas à cette idée préconçue que j’avais. En fait, je ne connaissais rien!
Homosexuel, une image qui colle
Parallèlement à ses émissions de radio, Dali fait des spectacles, écrit des chansons. Il veut se faire connaître. Il flaire l’opportunité de collaborer avec Lunatique dont la réputation est plus solide que la sienne dans le paysage québécois du hip-hop.
Certaines personnes m’ont dit de ne pas collaborer avec Lunatique parce que l’homosexualité n’est pas acceptée dans le hip-hop. Mais en 2008, les gens ne savaient pas qu’il était gai.
Afin de promouvoir son album qu’il entend sortir en avril 2009, Dali fait des vidéos de ses chansons qu’il met en ligne sur
YouTube et qu’il envoie via Facebook. En mai 2009, la vidéo de
Maître du destin est diffusée. Deux mois après la sortie du placard officielle de Lunatique dans les pages de Reflet de Société, la vidéo attire 14 000 curieux qui veulent voir l’homosexuel, cet être qui détruit l’image du hip-hop.
Ça s’est déchaîné. Sur les forums Internet, il y avait beaucoup de préjugés qui discriminaient Lunatique. On disait que les homos n’ont pas leur place dans le hip-hop. On se posait des questions sur mon orientation sexuelle. Sur les forums d’échange, Lunatique se défendait. Et ça m’incluait. Parce qu’il y avait plusieurs commentaires désagréables à mon endroit. Que ce soit sur ma collaboration avec un homosexuel ou sur mes textes et ma façon de les rendre.
Dali passe des moments difficiles. Lui qui ne cherchait qu’à prendre sa place dans le hip-hop est conspué et ridiculisé par le milieu.
À Montréal, dans les ligues de battle de rap, certains parlaient de nous dans leurs textes. T’es en arrière de Dali quand Lunatique échappe son savon. T’es en sandwich entre Dali et Lunatique. T’es juste connu dans le milieu gai.
Les rappeurs s’en donnent à cœur joie. Ils déversent leur homophobie contre Lunatique et Dali. C’est la folie. Sur les forums, dans les
battles et même dans des chansons de rap, on dénigre les deux artistes.
Rap et homophobie
Dali est étiqueté gai. Il essuie les remarques désobligeantes de jeunes dont la passion est de parler, de s’affirmer. Il doit se défendre seul alors que Lunatique part pour quelque temps à Calgary.
Il n’a pas quitté Montréal parce que c’était trop dur pour lui, mais parce qu’il est un nomade. Mais avant qu’il ne s’en aille, il s’est bousculé avec un autre rappeur, dans un bar. C’était un geste homophobe.
Plus tard, lors d’un évènement hip-hop, j’ai revu celui qui avait poussé Lunatique. Je suis allé le voir pour lui demander pourquoi. ‘‘Parce qu’il m’énervait et parce que les gais n’ont pas leur place dans le hip-hop au Québec’’ a été sa réponse. Ça s’est terminé en engueulade. Après, un de ses amis m’a donné un coup de coude au visage. Le gars disait que j’encourageais l’homosexualité dans le hip-hop, que ce n’était pas normal, les homosexuels. Moi, je ne suis pas gai. Je ne peux pas défendre Lunatique. Mais je donnais mon point de vue. Qu’on avait une émission de radio ensemble. Que je m’entendais bien avec lui. Qu’il avait habité au Saguenay alors que je venais du Lac Saint-Jean.
Ça a atteint ma réputation à travers le Québec. Ce n’est pas plaisant. On m’en parle encore aujourd’hui. Ce n’est pas mon orientation sexuelle mais on m’y associe. Je n’ai pas de remords. Et ce n’est pas ce qui va m’empêcher de continuer à faire de la musique. Même si ce n’est pas une situation agréable, ça m’a fait connaître. Ça m’a donné de l’exposure. Les gens ont été voir la vidéo. Et dans mes chansons, je m’en inspire. Je vais continuer même si on ne m’aime pas.
Tourner la page
Dali est persévérant. Malgré les insultes et le mépris qu’on lui adresse, il ne se terre pas chez lui. Il aime le hip-hop et continue de se présenter aux évènements.
Des artistes se sont excusés. Ils m’avaient nommé dans des battles ou des chansons. Mais parce que j’ai continué à supporter le mouvement, ils savent que je ne quitterai pas la scène. Si un artiste fait un spectacle et qu’il a été dur envers moi, il va quand même me voir à son évènement si je sens qu’il a tourné la page. Maintenant, je veux m’imposer plus dans mes chansons. Ils savent qui est Dali. Ça m’a fait connaître. À moi d’en profiter pour qu’ils écoutent ma musique.
Dali a reçu un appui de Caya, un rappeur qui a été intervenant jeunesse à Longueuil.
Il est connu à travers le Québec. Il organise plusieurs spectacles sur la Rive-Sud. On a une bonne chimie. Il me donne son appui. Il a collaboré sur mon 3ème CD. Il y a des gens qui lui avaient dit ne pas le faire, puisque j’étais associé à Lunatique. Il s’en est foutu. Mais le milieu est encore homophobe. Ça n’a pas changé.
Quant à Lunatique, Dali ne le voit plus.
Il n’est plus dans le hip-hop. Il ne va plus dans les bars. Il est plus tranquille qu’avant. Je ne sais pas si c’est à cause de son coming out. Mais je ne collaborerai plus avec des artistes homosexuels. J’ai une réputation à préserver. J’ai eu trop de mauvaises expériences. Je n’ai pas envie de replonger dedans. Je n’ai rien contre eux. Je suis pour leur liberté, pour qu’ils puissent vivre comme ils l’entendent. Mais j’ai eu plus de difficultés à me trouver une place dans les spectacles à cause de ça.
Dali n’est pas amer. Mais il se serait passé de ces histoires qui l’ont fait souffrir. Comme tout jeune de son âge, comme tous les membres de la culture hip-hop, il cherche à être reconnu par ses pairs. Ces artistes qui l’ont insulté n’ont pas réussi à le pousser hors de sa passion. Dali reconnaît que certains sont meilleurs que lui en rap «mais je n’arrêterai pas pour eux.»
Les trois reportages sur le rappeur Dali
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La scène artistique de Montréal est très petite. Même les rappeurs anglophones ont de la difficulté à se trouver une niche.
Un artiste peut être plus facilement marginalisé au Québec qu’aux États-Unis. Le bassin de population permettant aux différents groupes de se trouver un espace vivable.
Raymond.
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Bonjour M. Viger,
C’est ce que crois aussi: chaque artiste trouve son public, même marginalisé et aussi limité soit-il. Par conséquent, je crois aussi qu’un artiste hip-hop homosexuel peut trouver son public au Québec. Qu’en pensez-vous?
Anders.
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Bonjour M. Turgeon.
Il n’y a aucune incompatibilité entre homosexualité et Hiphop. Ce sont certains artistes Hiphop qui en font une culture homophobe et plus ermétique.
C’est évident qu’aux États-Unis, le marché étant plus grand qu’au Québec, même marginalisé, un artiste peut se trouver suffisamment de supporters et de fans pour faire carrière.
Raymond.
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C’est vraiment dommage, cette histoire du rappeur Lunatique qui se fait carrément tasser du milieu hip-hop à cause de son homosexualité. Je ne savais pas ce milieu aussi fermé à la diversité sexuelle.
Dali est une victime collatérale de cette homophobie destinée à l’endroit de Lunatique, et ce, à cause d’une simple collaboration entre les deux rappeurs. Je trouve courageux Dali de continuer à persister dans le hip-hop malgré ce qu’il a subi. À l’inverse, ça m’attriste que Lunatique ait choisi d’abandonner sa passion.
Pourtant, homosexualité et hip-hop ne sont pas incompatibles. Je prends le cas d’un rappeur américain nommé Cazwell. Il est actif dans le hip-hop depuis 2000. Ses thèmes de prédilection sont reliés à l’homosexualité et tout ce qui touche à la communauté LGBT (lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre). Si son auditoire est réduit en raison de son homosexualité qu’il affiche ouvertement, en revanche il séduit d’autres gais et lesbiennes amateurs de hip-hop.
J’espère qu’un jour, le milieu du hip-hop s’ouvrira davantage à la diversité sexuelle. Car ce n’est pas une question d’être moins viril si tu aimes les hommes.
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