Terry a 53 ans. Il y a une dizaine d’années, ses nuits ont commencé à être perturbées par d’affreux cauchemars. Ses cauchemars avaient des odeurs du passé. Ces images et ces odeurs se sont avérées être des souvenirs. Terry s’est souvenue qu’elle a été victime d’inceste entre l’âge de 4 et 12 ans.

Un texte de Mélina Soucy publié sur Reflet de Société – Dossier Justice

«Je suis tombée en dépression sévère en 2013, confie Terry. J’ai essayé toutes sortes de thérapies. Au fil du temps, j’ai trouvé une thérapie de groupe où un ex-détenu a livré un témoignage. Il parlait de prison intérieure et ça m’a interpellée. “La prison intérieure n’est pas différente de celle du pénitencier, la seule différence ce sont les barreaux”, a-t-il dit. Il a ensuite parlé de justice réparatrice et ça m’a interpellée.»

Justice réparatrice

Des victimes de pédophiles et des agresseurs sexuels conversent face à face dans une pièce. Un détenu sanglote, une victime crie. Une victime pleure, un détenu garde le silence. Tous échangent, dans le respect, sous les yeux avisés d’un animateur.

«Les rencontres détenus-victimes sont au centre de nos activités, explique Estelle Drouvin, coordonnatrice du Centre de services de justice réparatrice (CSJR). On reçoit des groupes composés de 4 détenus, 4 victimes et 2 membres de la communauté. Ils se verront une fois par semaine pendant 7 semaines.»

La justice réparatrice aide les personnes touchées par des actes de violence à se rétablir par un processus basé sur le dialogue. Elle s’adresse autant aux victimes de crimes qu’aux agresseurs qui les ont commis. C’est une alternative à la justice traditionnelle et elle peut choquer certaines personnes.

J’ai eu mon premier face à face avec un détenu au Centre fédéral de formation, confie Terry. Il avait la même carrure, les mêmes yeux, la même physionomie que mon agresseur.

«Les gens qui ne comprennent pas ce qu’est la justice réparatrice sont souvent mal informés, pense Estelle. Ils croient que les victimes sont obligées de pardonner et que les détenus peuvent sortir plus rapidement.»

En réalité, les détenus ne retirent de ces rencontres que la possibilité de prendre conscience de la portée de leur crime.

Du côté de la victime

«La justice réparatrice convient à un public qui a déjà eu un suivi thérapeutique auparavant, comme c’est le cas dans la situation de Terry», croit Katia Lavallée, psychologue et directrice du Centre d’aide et de traitement des agressions sexuelles (CETAS). Elle précise également que le témoignage extrêmement positif de Terry est peu commun.

«J’ai eu mon premier face à face avec un détenu au Centre fédéral de formation, confie Terry. Il avait la même carrure, les mêmes yeux, la même physionomie que mon agresseur. Sauf son sourire. Son sourire irradiait l’amour. C’est la première fois que quelqu’un qui ressemblait à mon agresseur et qui avait commis le même crime que lui me disait que je n’avais pas à me sentir coupable. La honte, la culpabilité ne me concernaient plus. La rencontre s’est déroulée dans la compréhension et le respect.»

Au départ, Terry ne croyait pas qu’une rencontre avec un criminel lui serait bénéfique. Elle ne pensait pas que le criminel pourrait ressentir de la culpabilité.

«J’avais des ailes en sortant du pénitencier, livre Terry. Quand on va à une rencontre de ce genre, le CSJR nous conseille de venir accompagné. Mon amie m’attendait dans sa voiture. Elle s’est mise à pleurer, en disant que je rayonnais et qu’elle ne m’avait jamais vue comme ça.»

La réaction positive de Terry à une rencontre détenu-victime n’est pas rare. Toutefois, certaines victimes ont de la colère à extérioriser.

«On encourage les victimes à extérioriser leurs émotions, peu importe s’il s’agit de tristesse ou de colère, tant que c’est fait dans la non-violence, précise Estelle Drouvin. La colère est perçue comme une libération de la personne ici.»

Du côté du détenu

Stéphane et Terry se taquinent. Ils rient, ils sont amis. Stéphane et Terry se sont connus au CSJR. Terry en tant que victime, Stéphane en tant que détenu.

«Je ne peux pas expliquer qu’une victime et un ex-détenu soient amis, révèle Mme Lavallée. Toutefois, ici au CETAS, il est commun de voir des victimes être en couple avec des délinquants sexuels. Il ne s’agit pas de leurs agresseurs personnels, mais d’hommes qui ont réussi à se réhabiliter et qui leur démontrent qu’ils ont changé.»

Pendant que j’étais à Port-Cartier, le 10 février 1991, mon meilleur ami, également incarcéré, s’est fait tuer violemment. Ils l’ont torturé.

Elle précise toutefois que cette situation n’est pas non plus toujours fonctionnelle, mais qu’elle ne demeure pas rare.

Stéphane est entré en prison en 1986 pour un homicide d’enfant, ainsi que plusieurs charges d’agressions sexuelles sur mineurs et une charge d’enlèvement. «J’ai passé 24 ans en prison, dévoile le septuagénaire. Au début de mon incarcération, j’étais profondément égoïste. Je n’avais pas de remords. C’était moi la victime qui avait perdu son emploi, sa maison, son bateau et sa famille».

C’est un événement au pénitencier qui a ouvert les yeux de Stéphane sur l’horreur de ses crimes.

«Pendant que j’étais à Port-Cartier, le 10 février 1991, mon meilleur ami, également incarcéré, s’est fait tuer violemment. Ils l’ont torturé. C’était une mort horrible. C’est là que j’ai pris conscience que les gestes que j’avais posés n’étaient pas mieux. J’ai finalement compris que j’avais fait des victimes.»

À la suite du décès de son ami, Stéphane a cessé de consommer de l’alcool et de la drogue. Puis, il a suivi deux programmes de sensibilisation pour délinquants sexuels.

«Dans ma première thérapie, ils me sacraient dehors quand je commençais à parler de moi, se rappelle-t-il. Je racontais toujours mes propres traumatismes. Je mettais tout sur le dos du fait qu’enfant j’ai été abusé par mon père, qu’il m’a mis dehors et que j’ai été prostitué pendant 2 ans après.»

Au pénitencier de Sainte-Anne-des-Plaines, Stéphane a véritablement commencé à améliorer son ouverture d’esprit.

«La psychologue là-bas a parlé avec moi des abus physiques de mon père, ajoute-t-il. Elle et les gens du CSJR sont des anges de compassion qui m’ont permis de m’ouvrir aux autres. Dans les premières rencontres avec les victimes, je voulais quand même me cacher en dessous de la table.»

Chaque année, le CSJR et l’Institut de guérison des mémoires de Cape Town organisent Guérison des mémoires, un événement où 24 personnes ayant subi ou été témoins de violences se rencontrent le temps d’une fin de semaine. Là-bas, une victime d’inceste a réussi à détruire les dernières réticences de Stéphane à s’ouvrir.

«Il avait beaucoup de peine et d’agressivité, se souvient l’ex-détenu. Il faisait son témoignage et je sentais qu’il savait que c’était moi le gars dans le groupe qui avait commis le même crime dont il a été victime. J’ai pu lui parler en compagnie d’Estelle, une semaine après notre rencontre détenus-victimes. Il a demandé à Estelle de faire un face à face avec moi. J’ai accepté. Avec cette rencontre-là, j’ai débloqué. Je ne vivais plus les rencontres comme des accusations. Le gars s’est confié à moi. Il ne me jugeait pas.»

Stéphane s’est fait une promesse depuis la mort de son ami et ses multiples thérapies : plus aucune victime. Promesse qu’il a réussi à tenir à ce jour.

Pour rejoindre le Centre de services de justice réparatrice: 514-933-3737

Justice réparatrice en bref

Il s’agit d’une alternative à la justice traditionnelle qui est axée sur la réparation des torts causés par des activités criminelles. Ainsi, des victimes de crimes violents et des détenus ayant commis des crimes de la même nature se rencontreront une fois par semaine dans un local sous la supervision d’un animateur pour discuter.

L’animateur peut être un travailleur social, une victime ou un ex-détenu qui a fait ses preuves dans l’organisme qui gère les rencontres. Des membres de la communauté et un membre de l’organisme sont toujours présents pendant ces rencontres pour en assurer le bon déroulement.

Les participants à ces rencontres sont tous volontaires et les victimes viennent accompagnées pour assurer un bon retour à la maison par la suite. Les victimes se libèrent ainsi de charges émotives lourdes pendant que les criminels cheminent vers une prise de conscience.

Justice réparatrice, briser le cercle de la violence

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Crédit vidéo : TEDx Talks

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