Dominic Desmarais | Dossiers Prostitution et Sexualité
C’est jour de célébration à Monteay Banteay, au Cambodge. Des centaines de personnes célèbrent le 10e anniversaire de l’organisme Cambodgian Women’s Crisis Centre (CWCC) et l’ouverture de son nouveau refuge pour femmes. Pour l’occasion, les 130 pensionnaires du centre, des femmes sorties de la prostitution ou aux prises avec la violence conjugale, ont préparé les repas, dressé le chapiteau et monté la tribune des invités de marque.
Oung Chanthol, présidente de l’organisme, est aux anges. Pendant une journée, elle écarte les histoires malheureuses de ses pensionnaires qui ont marqué les 10 années de CWCC. L’intimidation, les passages à tabac et les meurtres qui ont touché son personnel. Oung Chanthol sait bien que la violence faite aux femmes demeure toujours problématique.
L’égalité des sexes est encore un concept vague au Cambodge. Les prostituées y sont toujours mal vues. Les possibilités de réinsertion sont minces. L’économie du pays est toujours chancelante après 30 ans de conflits. Les femmes ont un accès limité à l’éducation. Elles trouvent difficilement du travail. La police est sous-payée, elle est mal formée pour contrer le trafic et peine à mettre les trafiquants en prison. Sans oublier que la corruption est au cœur du système de justice.
Aujourd’hui, Oung Chanthol se réjouit pour elle, ses employés, le CWCC et, surtout, pour son combat en faveur des droits des femmes. La présence de hauts dignitaires venus dénoncer la traite et la violence qui accablent plusieurs Cambodgiennes est à ses yeux une grande victoire. Des centaines de personnes se sont déplacées pour assister aux cérémonies: signe évident que la question préoccupe la population. La coopération s’améliore entre le gouvernement, les organismes internationaux et les ONG locales. Les gens s’impliquent. Ils sont de plus en plus attentifs aux discours sur les droits de la femme.
Des ONG indispensables
Les pressions internationales, dont celles du Canada, et le lobbying des ONG locales expliquent la mobilisation de plus en plus grande des pays de l’Asie du Sud-Est contre le trafic des personnes. Il y a quelques années, la présence de jeunes filles offertes sur Internet par de grands bordels a alerté des organisations internationales. Sous leurs pressions, le gouvernement cambodgien a fermé les portes de ces établissements. Des ONG recueillent des informations sur les lieux de prostitution qu’elles refilent ensuite à la police anti-trafic. Difficile, pour les forces de l’ordre, d’ignorer ces demandes. Les organismes ont derrière eux le poids de leurs donateurs occidentaux.
C’est le cas de l’organisation Agir pour les femmes en situation précaire (AFESIP). Porté par sa présidente, Somaly Mam, elle-même vendue à deux occasions par son grand-père à des bordels, l’AFESIP est incontournable dans la région. Avec des bureaux au Viêt Nam, au Laos, en Thaïlande et au Cambodge, l’organisme peut suivre les lieux du trafic mieux que les polices nationales.
Débarqué au Cambodge il y a un an, Emmanuel Colineau voulait participer à la lutte contre la traite. Grâce à son diplôme de droit, il est aujourd’hui secrétaire général de l’organisme. Le jeune Français explique que l’AFESIP découvre les victimes de trafic grâce à une équipe d’enquêteurs qui se rend sur les lieux de prostitution. Ils recueillent des informations qu’ils refilent au département juridique de l’organisme.
«Quand on est prêt, on donne les renseignements à la police, qui effectue le sauvetage des femmes trafiquées.» La police anti-trafic, avec qui l’organisme a noué de bons liens, arrête toutes les personnes présentes sur les lieux repérés par les enquêteurs. Cette coopération permet à l’AFESIP de limiter les dégâts. «On observe chaque descente pour nous assurer du respect des personnes arrêtées, continue Emmanuel. Des entrevues sont ensuite menées pour distinguer les victimes des intermédiaires et des propriétaires des lieux de prostitution.»
Les raids menés par la police sont souvent traumatisants pour les prostituées. Elles sont acheminées vers des refuges d’ONG adaptés pour les accueillir. «Les victimes sont envoyées dans notre centre de courte durée pour 14 jours. Elles veulent juste sortir. Elles sont libres et retournent à la prostitution, consentantes. Mais, c’est parce qu’elles ne connaissent pas d’autres solutions, estime Emmanuel. On demande à chacune quel est son rêve, ce qu’elle voudrait faire? Ce sont des questions importantes. On veut les aider à le réaliser.»
En montant des dossiers contre les trafiquants, en découvrant les lieux de la prostitution et en assistant les victimes qui désirent porter plainte contre leurs exploiteurs, l’organisme pallie le manque de formation de la police et des procureurs.
La clé de cette réussite est l’approche coopérative. L’AFESIP veut changer, petit à petit, la mentalité des dirigeants du pays. «On maintient la pression, résume Emmanuel Colineau, mais on souligne aussi les bons coups du gouvernement. On ne croit pas à la confrontation.»
Des pressions contre le gouvernement
L’approche consensuelle ne fait cependant pas l’unanimité. Pour la Ligue cambodgienne des droits de l’Homme (LICADHO), le gouvernement ne fait rien. On préfère le talonner. «Le gouvernement fait beaucoup de déclarations. Ça ne coûte rien et ça fait plaisir à tout le monde. Mais, il y a peu d’actions. On a une loi contre le trafic qui n’a que 10 articles… On a un département anti-trafic, mais la femme à sa tête ne fait rien.»
Ces propos tranchés sortent de la bouche du Dr Kek Galabru, présidente de LICADHO. Contrairement à AFESIP, elle n’apprécie guère la police anti-trafic. L’escouade n’a pas voulu effectuer de descentes dans des bordels désignés par son organisme. Cette dame à l’allure aristocratique travaille sans arrêt. Attablée un vendredi soir à son bureau, Kek Galabru corrige des documents avec un assistant, multiplie les appels et répond aux questions de Reflet de Société. Après, elle assiste à une réception. «C’est très difficile de faire bouger le gouvernement. On a tellement essayé, soupire-t-elle. Si le gouvernement canadien exerçait une pression plus forte, peut-être que ça pourrait améliorer la situation des femmes ici.»
Changer les mœurs
Dans la région, la fille aînée travaille traditionnellement au bordel pour subvenir aux besoins du reste de la famille. «Si elle accepte, est-ce du trafic? se demande le Dr Bruno Maltoni, consultant de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Dans certaines provinces, la prostitution est la seule façon de s’en sortir. Il s’agit d’un problème socio-économique. En Occident, on croit que les filles ont été kidnappées. Mais, souvent, ce n’est pas le cas. Plusieurs jeunes femmes veulent faire ce travail. Pas besoin de les forcer.»
Conseiller pour Oxfam Québec au Cambodge, Normand Champoux met en place un nouveau programme contre le trafic à la grandeur de la région du sud-est de l’Asie. «Quand on parle de trafic humain, on a notre perception occidentale, dit-il, corroborant l’idée du Dr Maltoni. Aux yeux de plusieurs Cambodgiens, si la famille ne vend pas sa fille, toute la famille meure. Je n’ai pas de solution au problème… Surtout que la famille ne le voit pas comme du trafic. Leur fille travaille pour leur bien.» La luttes aux réseaux de prostitution demeure essentielle, mais l’amélioration du niveau de vie et l’évolution des mentalités le sont tout autant.
Produit grâce à la contribution de l’Agence canadienne de développement international (ACDI)
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Merci M. Lawrence-Thierry Bernard pour votre commentaire et le partage de vos connaissances sur ce sujet sensible.
Vous avez raison de demander que nous ayons les moyens de pouvoir intervenir adéquatement et les moyens de pouvoir soutenir les victimes.
Raymond.
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Le trafic sexuel d’être humain présente un avantage indéniable comparé à d’autres trafics illégaux. L’investissement initial, où les coups de départ pour le recrutement ainsi que le transport des femmes est faible comparativement aux profits que l’ont peux en attendre. Les femmes et les enfants sont traités comme de la marchandise durables. Que l’on peut vendre et revendre. Et leurs exploitation est en outre devenu beaucoup plus facile avec la possibilité de reproduire et de diffusé à faible coup du matériel pornographique sur internet. En outre, la répression n’est définitivement pas à la hauteur du phénomène. Les amendes sont faibles, les poursuites sont sporadiques et les peines ridicules. Voir inexistante. Quand ce n’est pas les victimes elles-mêmes qui sont condamnées ou responsabilisées.
Toutes les victimes ont ceci en commun, elles ont subit beaucoup de menaces, d’intimidations, de violences physiques et psychologiques. Soulignons que les contacts de l’organisation criminelle fournissent rapidement aux proxénètes toutes sortes d’informations personnelles sur les jeunes femmes ainsi que sur leurs familles proches. De fausses cartes d’identités, qui falsifies leurs noms ainsi que leurs âges, leurs sont fournies dans une période de trois jours. Ce qui, non seulement, prouve que l’organisation a réussi à infiltrer notre système bureaucratique, mais amplifie le sentiment de désespoir et d’impuissance que les jeunes femmes éprouvent. Elles subissent donc de fortes pressions de représailles sur leurs proches si elles ne se soumettent pas. Elles auront été séquestrées et violées à répétition sur de très longues périodes pouvant durer plusieurs jours. Elles auront été droguées avec des drogues fortes pour créer de la dépendance et auront été régulièrement torturées sexuellement. Le but étant de leurs faires paraître la danse et la prostitution comme étant une délivrance.
Nous avons besoin de locaux sécurisés pour héberger les victimes et les protéger. Toute une gamme de services devra être rapidement disponible à l’intérieur même de ces locaux, pour aider les victimes d’exploitations sexuelles qui sont définitivement en états de détresses psychologiques profondes. Ces jeunes femmes, souvent issues de milieux défavorisés dans lesquels, elles ont déjà connu des abus de toutes sortes, aurons bien souvent subit le modèle institutionnalisé de la D.P.J. Le réseau d’hébergement devra être monté sur un modèle complètement différent et adapté à la réalité psychologique de ces jeunes femmes. Nous aurons aussi besoin d’un réseau de familles adoptives, pour pouvoir déplacer et dissimuler aux yeux des proxénètes les jeunes femmes au travers de la province de Québec, et ainsi être en mesure de favoriser en toute sécurité, leurs réinsertions sociales. Nous aurons aussi besoin de méthodes de protection rapprochées auprès des proches des victimes pour rassurer les victimes et leurs familles. Le but étant de pouvoir rapidement sécuriser la famille ainsi que la victime pour éviter toutes formes de représailles de la part du groupe criminalisé lorsqu’elle est libérée ou en fuite.
Le niveau incroyable de violence et d’avilissement que subissent les victimes laisse non seulement des blessures physiques mais affecte en profondeur leurs psychismes. Plusieurs de ces jeunes femmes banalisent la situation, considérant même que c’est normal, qu’elles méritent ce qu’elles subissent et que c’est totalement justifié. La prostitution exploité par les ″ gangs de rue ″ laisse des séquelles importantes chez les victimes. Un grand nombre des ces jeunes filles subissent des traumatismes réels et lourds. Beaucoup de ces jeunes femmes sont forcées de se prostituer à temps plein ou presque. Emprisonnées, elles sont réduites à n’être que des esclaves sexuelles à qui l’on a retiré toutes formes de considérations humaines. Elles sont obligées de subir des relations sexuelles qui les blessent définitivement dans leurs âmes et leurs corps.
Plusieurs des victimes sont amoureuses de leur proxénète et ce malgré tout ce qu’il leurs font subir, elles le protègent en mentant et en gardant le silence. La majorité des victimes auront développé une problématique de dépendance à la drogue, à l’alcool et au jeu. Dans bien des cas, cette dépendance aura été volontairement développée par les proxénètes dans le but d’augmenter la dépendance des jeunes filles à leurs égards. Nous devons avoir les moyens, de non seulement comprendre cette problématique, mais aussi d’intervenir efficacement.
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Bonne question. Je ne pourrais pas vous le dire. Si j’ai l’information, je vous reviens pour vous tenir au courant.
Raymond.
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Colineau.. c’est aussi le nom du consul de Sihanoukville.. lien de parenté?!
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