Lancer une tranche de fromage au visage de son bébé. Annoncer à ses enfants qu’on a englouti tous leurs bonbons d’Halloween. Régulièrement, des vidéos de parents jouant des tours à leur progéniture font sensation sur internet. Mais même quand la blague peut paraître anodine, elle soulève des enjeux à la fois éthiques et juridiques. À quel moment la farce cesse-t-elle d’être drôle?

Un texte de Marie Bernier publié sur Reflet de Socié | Dossier Santé mentale

Le #NewTeacherChallenge est apparu sur le réseau social TikTok peu avant la rentrée scolaire 2020. Le concept du défi était simple : il suffisait de simuler un appel par vidéoconférence avec le soi-disant futur enseignant de son enfant. Quand ce dernier approchait pour se présenter, il tombait nez à nez avec la photo d’un pur inconnu, choisie expressément pour causer la surprise. Comme une photo d’identification judiciaire (mugshot) particulièrement ingrate. Ou, parfois, le portrait d’une personne handicapée. 

Stupeur, protestations, larmes : les compilations du #NewTeacherChallenge montrent des dizaines d’enfants réagir vivement à ces faux professeurs. Du contenu fait sur mesure pour attirer les clics. Mais qui provoque un malaise chez de nombreux observateurs. 

Un drôle de message

La psychologue Nadia Gagnier le précise d’emblée : elle a le sens de l’humour. Jouer un tour à son enfant, elle n’a rien contre… à condition que celui-ci y éprouve aussi du plaisir. « Le rôle du parent, c’est d’être une figure de sécurité, explique-t-elle. Quand la blague amène un inconfort chez l’enfant, voire un stress, cela crée une contradiction malsaine. »

C’est sans compter que bon nombre d’enfants sont déjà anxieux à l’approche du retour en classe. « C’est une période qui met leur capacité d’adaptation à l’épreuve », affirme la Dre Gagnier. Une capacité d’adaptation déjà durement éprouvée en pleine pandémie, faut-il le rappeler. 

Mais ce qui choque le plus avec le #NewTeacherChallenge, c’est son message. Soit que le physique d’autrui est matière à rigolade. Et qu’utiliser sur le web la photo d’une autre personne sans son consentement est banal. « Comment peut-on faire la leçon aux ados au sujet de l’intimidation quand les adultes s’y adonnent sur internet ? », souligne Nellie Brière, chroniqueuse et consultante en communications numériques et réseaux sociaux.

La conférencière américaine Lizzie Velásquez, qui est atteinte d’une rare maladie congénitale, a vu son visage apparaître dans un de ces défis. « Si vous êtes un adulte et que vous avez un jeune humain dans votre vie, je vous en prie, ne lui montrez pas qu’il est normal d’avoir peur de quelqu’un qui ne lui ressemble pas, a-t-elle écrit avec émotion sur ses plateformes. Nous sommes humains et nous avons des sentiments. »

Des risques sous-estimés

Quiconque possède un compte Facebook pourra le confirmer. Les photos ou vidéos d’enfants abondent sur les réseaux sociaux. La pratique a même un nom : sharenting – contraction de share (partager) et parenting (élever un enfant). La pratique est si courante que déjà, en 2010, on estimait que plus de 80 % des petits Canadiens de deux ans et moins étaient présents sur le web. 

Commune, la pratique n’est pas pour autant moins propice aux dérapages. En 2019, Option Consommateurs consacrait un rapport complet à la parentalité à l’ère numérique. Parmi les risques cités : l’intimidation, la récupération de photos par des tiers sur des sites de pornographie juvénile, et le vol d’identité.

« Les parents ne soupçonnent pas la quantité d’informations qu’ils révèlent en publiant en toute bonne foi une photo de rentrée scolaire », avertit Alexandre Plourde, avocat et analyste chez Option Consommateurs. En effet, à partir du cliché classique devant la cour d’école, un esprit un peu débrouillard pourrait parvenir à identifier l’établissement scolaire de l’enfant, son quartier, déduire ses allers et venues…     

Bref, quand il est question de mineurs et de réseaux sociaux, le mot d’ordre devrait être la prudence, signale Option Consommateurs, qui a produit une série de recommandations pour les parents 2.0 (voir l’encadré).  

Ce que dit la loi 

Reste que, juridiquement parlant, publier des renseignements concernant son bambin sur Facebook ou Instagram n’enfreint aucune loi, précise Alexandre Plourde. 

« Un enfant, tout comme un adulte, a le droit à l’image, à la réputation et à la vie privée, fait-il valoir. La différence, c’est que ce sont ses parents qui exercent ses droits. Si le parent consent au nom de l’enfant à ce que ses informations soient publiées, ce n’est pas fautif. » 

Là où les choses se corsent, c’est lorsque le contenu diffusé peut porter préjudice à l’enfant. « Le Code civil prévoit que les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt, poursuit Me Plourde. Un parent qui fait des publications diffamatoires ou qui ridiculise l’enfant, est-ce qu’il agit vraiment dans son intérêt ? Il y a un flou juridique. »

En 2017, des blagues de mauvais goût ont tout de même valu à un Youtubeur du Maryland de perdre la garde de ses enfants et d’être condamné pour négligence. Dans une de ses vidéos, le trentenaire avait notamment fait croire à son garçon de 9 ans qu’il venait d’être adopté par une autre famille…

Anticiper les contrecoups 

Bien sûr, il s’agit là d’un cas extrême. Et l’immense majorité des parents ne cherchent pas à causer du tort à leur enfant. Mais cette histoire rappelle une vérité de notre époque : sur le web, les intentions s’envolent, mais les images restent.

Et, pour revenir au #NewTeacherChallenge, ces images sont rarement flatteuses. Est-ce qu’on rend vraiment service à son enfant en publiant la grimace qu’il a faite à la vue d’une personne handicapée? 

« Il faut penser que l’enfant aura un jour conscience du regard que les gens ont sur lui, prévient la psychologue Nadia Gagnier. Même une photo innocente croquée sur le vif pourrait plus tard être source de conflit avec le parent si l’enfant n’est pas à l’aise avec l’image présentée de lui-même. » La Dre Gagnier estime aussi que ce type de contenu pourrait potentiellement affecter la perception de l’enfant aux yeux des autres. Même à long terme : « Les employeurs googlent leur candidat », rappelle-t-elle.

Sur ce dernier point, Nellie Brière se montre moins inquiète. C’est qu’avec la masse d’informations disponible sur tout un chacun, il y a, à son avis, un effet normalisant. « On ne peut pas comparer notre normalité à celle d’il y a 10 ans », argue-t-elle.  

J’ai ton accord, Junior ? 

Toutes deux s’accordent toutefois sur une chose : les parents devraient solliciter le consentement de leur enfant avant de publier à son sujet. « Dès sept ou huit ans, on peut lui demander son accord », soutient Nellie Brière. 

Nadia Gagnier recommande aussi de faire un « ménage » de son profil de temps en temps avec son enfant, question de vérifier si ce qui est en ligne lui convient toujours. Vous regrettez des publications impliquant votre tout petit? Pas de panique. « Il ne faut pas dramatiser et se dénoncer à la police! », lance la Dre Gagnier, qui assure que le développement de l’enfant ne sera pas compromis pour autant. 

« Être un parent parfait, oubliez ça! Des erreurs, on en fait tous. L’important, c’est de montrer à son enfant qu’on peut y réagir de façon constructive. Ce pourrait donc être une bonne occasion de discuter avec lui des impacts et des risques des réseaux sociaux. »

Quand la #blague va trop loin

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