L’auteure-compositrice-interprète innue Kathia Rock était l’invitée de David Goudreault pour la deuxième lecture du projet Déconfine tes pensées en novembre 2020. L’occasion d’aborder avec elle son parcours d’artiste autochtone, sa culture et sa place dans l’industrie musicale d’aujourd’hui.
Un texte de Mélodie Descoubes publié sur Reflet de Société | Dossier Culture
Pourquoi as-tu choisi de faire une carrière en musique?
« J’avais un rêve ; celui de chanter, de devenir une artiste. Je suis partie de ma communauté de Maliotenam à 14 ans pour arriver à Montréal. De fil en aiguille, je me suis entourée de gens qui travaillaient dans le milieu artistique, des gens de la scène. »
La musique est-elle bien présente dans ta communauté?
« Le premier exutoire d’un autochtone, c’est la musique. Les textes des chansons innues abordent différents sujets d’introspection comme la mort, la séparation, la réappropriation par rapport à la langue et à la culture. On a beaucoup d’auteurs-compositeurs à travers les 11 nations autochtones au Québec. »
Comment tes origines influencent-elles ta musique?
« Il y a plusieurs questions qui me poursuivent depuis des années. Que veux-tu laisser derrière toi? Comment peux-tu garder ta langue vivante? De quelle façon peux-tu transmettre la beauté de ta culture? Sur mon dernier album, je raconte la véritable histoire de ma communauté. Je décris tout ce qui est beau, notamment l’emblème des Innus de la Côte-Nord, le Pappakasi (maître du caribou). »
Le tambour amérindien teueikan est traditionnellement réservé aux hommes. Comment as-tu réussi à apprendre cet instrument au sein de ta communauté?
« J’ai fait un rêve, où je jouais du tambour, qui a carrément changé ma vie. Ça a créé une grosse controverse parce que le tambour est réservé aux hommes. Il se transmet de génération en génération. Je suis allée consulter des aînés pour leur demander quoi faire avec ce rêve. Puis, un tambour est arrivé à moi et j’ai commencé à jouer au milieu de mon salon. J’ai essayé de communiquer avec lui et j’ai écrit mes premières chansons. »
Pourquoi as-tu fait le choix d’interpréter tes chansons en français et en innu?
« J’ai eu la chance de rencontrer Louise Poirier et Ivy (Ivan Bielinski), qui m’ont écrit des chansons. La majorité du temps, je chante dans ma langue, mais je fais aussi des collaborations en français. »
En tant que femme autochtone, comment te sens-tu au sein de l’industrie musicale?
« C’est difficile de se tailler une place. Ma langue a été un obstacle pendant longtemps. Dans cette industrie, ce n’est pas toujours facile de négocier avec un producteur ou un distributeur pour faire jouer tes chansons innues à la radio. Au Québec, je suis placée dans la catégorie musique du monde alors que je suis dans mon propre pays. Je souhaite vraiment que ça change, qu’il y ait une plus grande ouverture de l’industrie musicale. »
En 2020, il y a eu plusieurs événements tragiques dans les communautés autochtones, tels que le décès de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette. Comment as-tu vécu ces évènements?
« On est très solidaires dans ma communauté. Quand un de nous meurt, c’est comme perdre une mère, une sœur, une tante, un membre de la famille. Ça fait des années qu’on nomme les abus, qu’on raconte ce qui se passe, mais ça prenait une vidéo live pour que tout le monde se réveille. Il y a un poème de Joséphine Bacon, “tu ne m’entends pas, tu ne me vois pas”. Ce poème-là me parle beaucoup. »
Penses-tu que le décès de Joyce Echaquan a permis une réelle prise de conscience dans notre société?
« Oui, Joyce nous a légué un grand message de paix. Peu importe les enquêtes sur les femmes autochtones agressées ou les pensionnats, nous ne cultivons pas la colère. Peu importe la violence, nous sommes une nation résiliente. C’est Joyce qui a éveillé les consciences pour un appel au changement. “Je ne te ferai pas mal même si tu m’as fait mal”, c’est le message qu’elle nous a laissé.
Est-ce que l’histoire de Joyce Echaquan a réveillé de mauvais souvenirs pour toi?
« Oui, ça a tout réveillé. C’est comme si j’étais allongée sur la rue Sainte-Catherine et qu’on m’éviscérait totalement. Tout ce que j’ai vécu où je me suis répétée ce n’est pas grave, ça m’est revenu en pleine face. Ça m’ouvre le corps au complet. Je n’ai jamais réussi à écrire sur ces traumatismes, ces injustices, c’est encore trop récent, trop collé à mes émotions. »
Comment peut-on déconstruire les préjugés envers les autochtones?
« Il faut déjà reconnaître le racisme systémique. Si tu ne le reconnais pas, où on s’en va-t-on? Je ne dis pas que tous les Québécois sont racistes, mais on le ressent à tous les paliers des systèmes gouvernementaux. Je le vois aussi dans l’industrie musicale. Aujourd’hui, il faut s’unir et construire un avenir meilleur pour nos enfants. Je veux qu’on avance main dans la main. »
Les Québécois peuvent-ils devenir les alliés des communautés autochtones?
« Oui, j’y crois, j’y rêve. Montréal est remplie de cultures différentes, moi j’ai appris ma culture à travers celle d’autres peuples. C’est ça qui fait la beauté de Montréal. Ça manque à la culture québécoise de faire de la place aux minorités, aux gens qui sont ici depuis longtemps. Je suis pour la culture ouverte, l’explosion du multiculturalisme. »
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Ressources sur le suicide
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Maintenant disponible en anglais: Quebec Suicide Prevention Handbook.
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