Raymond Viger | Dossiers Sexualité et Égalité Homme-Femme

La pornographie féministe, alternative à la pornographie mainstream et à ses dessous peu reluisants, a de plus en plus de succès, en particulier auprès des femmes. Une pornographie plus sécuritaire pour les acteurs et les actrices, qui respecte leur consentement, qui montre du vrai plaisir. Mais cette industrie divise les féministes : certaines y voient une façon de se réapproprier la sexualité féminine, d’autres une perpétuation des violences misogynes.

Annie Sprinkle, de son vrai nom Ellen F. Steinberg, est une actrice pornographique féministe américaine. À 64 ans, elle est l’une des actrices les plus réputées dans le milieu, a tourné 83 films, et en a réalisé deux. Certains diront que faire du porno et se revendiquer féministe est contradictoire : elle ne voit pas du tout les choses comme ça. Elle nous raconte que ses parents étaient féministes, mais qu’ils voyaient la pornographie comme quelque chose de contraire à leurs principes. En suivant un cours d’études du genre à l’université, elle a compris « ce qu’était vraiment une féministe », et s’est rendu compte qu’elle en était une. À cette époque, les féministes anti porn protestaient, mais elle ne se reconnaissait pas dans leur message. Puis le terme de « sex positive feminist » est arrivé. Ce courant du féminisme, apparu dans les années 1980 et issu de la communauté LGBT, s’oppose à l’abolitionnisme de nombreuses radicales en revendiquant la libération des femmes à travers leur sexualité. Annie s’est directement reconnue dans ce mouvement, proche de ses convictions.

Mais dans la pornographie, comme dans n’importe quelle industrie, il existe de bons comme de mauvais employeurs, et donc, de bons comme de mauvais réalisateurs. Annie raconte en riant qu’elle et ses collègues disaient souvent que ceux qui faisaient un effort dans les repas servis à l’équipe étaient les bons réalisateurs, et ceux qui se contentaient de servir de la pizza et de la charcuterie étaient les mauvais réalisateurs. Maria Beatty, notamment, est une réalisatrice pornographique féministe. Nous l’avons contactée, afin de lui poser des questions sur la manière dont elle dirige ses tournages. Elle nous a expliqué tourner environ un long-métrage par an. L’équipe passe entre six et neuf heures par jour sur le plateau, mais le tournage en lui-même dure à peu près quatre heures par jour. Chaque jour de tournage est entrecoupé de plusieurs courtes pauses, et d’une heure de pause déjeuner. Des conditions de tournage classiques, donc.

Nous lui avons alors demandé comment elle s’assurait de ne pas dépasser les limites des acteurs et actrices, et si le plaisir exprimé était réel, et non pas simulé. Et la réponse est simple : elle se tient à l’écart des acteurs professionnels, qui ont une manière de jouer, de simuler, qui, selon elle, n’est pas convaincante, mais plutôt « play-acting », en particulier chez les femmes. Elle préfère donc collaborer, avec des travailleurs du sexe ou des féministes pro-sexe, car, selon elle, « ce sont des gens qui aiment beaucoup s’amuser et prendre du plaisir en explorant leur sexualité à la caméra, avec une personne dont ils se sentent proches, et pour qui ils ressentent de l’amour et de la compassion ». « L’authenticité rayonne et est inimitable », ajoute-t-elle. Cette différence avec ce que l’on voit en pornographie mainstream est notable. Maria n’a jamais reçu de plainte de la part des acteurs concernant la manière dont elle dirigeait ses tournages, et précise qu’elle « ne pousse jamais un acteur à dépasser ses limites, à moins qu’il ne le désire et ne soit capable de le faire ». La réalisatrice correspond à ce qu’on attend des réalisateurs pornographiques : elle fait attention à ce que le consentement de ses performeurs soit toujours respecté, et à ce qu’ils se sentent à l’aise.

Mais, malheureusement, ce n’est pas le cas de tous les réalisateurs. Annie Sprinkle nous raconte qu’une fois, on l’a pressée de tourner une scène d’anal alors qu’elle ne le voulait pas, et qu’elle a quand même fini par céder. En échange, elle n’a reçu que 25$ d’extra, ce qui l’a vraiment énervée. Elle explique que « c’est le jour où j’ai appris à m’imposer, à dire non, et à poser des limites. Je me suis sentie mal après cette scène, comme si j’avais été sous pression. Je me suis dit que je ne laisserai pas cela arriver de nouveau, et je ne l’ai pas fait ». Elle précise qu’elle n’a jamais été violée, ou mise sous pression d’une autre manière. Elle a couché avec plus de 3000 hommes, « presque tous de bonnes expériences », et déclare que, même s’il y a eu quelques mauvais moments, il n’y a pas de quoi se plaindre. Mais ce type de pression que l’on fait subir aux actrices existe, malheureusement, et représente les mauvais côtés de la pornographie, qu’elle soit féministe ou non.

Nous avons interrogé sur le sujet Julie Lavigne, professeure à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au département de sexologie, et spécialisée, entre autres, dans l’étude de la pornographie. Pour elle, la pornographie féministe peut exister. « Il y a beaucoup plus de pornographies qui n’ont même pas besoin d’être féministes, qui sont beaucoup plus éthiques maintenant ».

Mais beaucoup continuent à dire que la pornographie, qu’elle soit féministe ou non, reste un outil de domination misogyne. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle en pense, elle rappelle qu’il n’existe pas qu’une seule pornographie, qu’il y a des productions qui sont effectivement vraiment machistes, mais qu’il faut d’abord se demander ce qu’est la pornographie. « Est-ce le fait de montrer une relation à caractère sexuel qui est anti féministe, ou est-ce le fait de représenter certaines sexualités qui pose problème ? Il y a beaucoup de féministes qui voyaient dans toute pornographie une violence faite aux femmes, des féministes pour qui le porno en soit montre que la femme est au service de l’homme. Mais dans certaines productions, c’est tout le contraire, il n’y a même pas d’homme dedans », ajoute-t-elle en riant. Puis elle reprend « mais en même temps, je comprends tout à fait quand on essaie d’exemplifier le système patriarcal, il y a beaucoup de pornographies qui peuvent être très utiles pour le dénoncer. » Lorsqu’on lui demande son avis au sujet de la soumission féminine dans le porno féministe, elle répond que certaines militantes voient un problème dans le BDSM en tant que tel, mais que d’autres considèrent appartenir à cette communauté, et que donc, tant qu’il s’agit de pratiques consenties, on ne peut pas vraiment juger. « Il y a différents types de sexualités consentantes qui ne sont pas nécessairement politically correct ; est-ce du ressort du projet féministe que de les anéantir ? C’est une autre question ».

Alors, la pornographie féministe est-elle une perpétuation des violences faites aux femmes ? Tout dépend des productions, des réalisateurs. Dans le milieu du porno, c’est souvent au cas par cas qu’il faut se poser la question. Certains tournages se font dans le respect de chacun, tandis que d’autres se passent mal. La pornographie en elle-même, le fait de montrer un acte sexuel, n’est pas, d’après Julie Lavigne, une violence. Ce sont les dérives et les mauvaises conditions de tournage qui peuvent conduire à des violences sexuelles, physiques, ou psychologiques. Selon Julie, le porno féministe ne changera pas entièrement l’industrie ; cependant, comme elle le mentionne, certains de ses éléments se retrouvent maintenant dans la pornographie mainstream.

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