Les avancées technologiques peuvent parfois semer l’inquiétude dans la population, surtout lorsqu’il est question de sexualité. En 1867, le Medical Society Journal recommandait aux couturières d’ingérer du bromure – une substance aux propriétés sédatives et anaphrodisiaques – afin qu’elles ne soient pas excitées par les trépidations du pédalier de leur machine à coudre. L’arrivée du télégraphe avait aussi alimenté la crainte que les jeunes femmes entrent en contact avec des partenaires inappropriés ou des étrangers aux mauvaises intentions. Aujourd’hui, ce sont les robots et les poupées sexuelles dont la technologie permet l’existence qui soulèvent des débats éthiques.

Un texte de Mélodie Nelson publié sur Reflet de Société | Dossier Prostitution

Les avancées technologiques peuvent parfois semer l’inquiétude dans la population, surtout lorsqu’il est question de sexualité. En 1867, le Medical Society Journal recommandait aux couturières d’ingérer du bromure – une substance aux propriétés sédatives et anaphrodisiaques – afin qu’elles ne soient pas excitées par les trépidations du pédalier de leur machine à coudre. L’arrivée du télégraphe avait aussi alimenté la crainte que les jeunes femmes entrent en contact avec des partenaires inappropriés ou des étrangers aux mauvaises intentions. Aujourd’hui, ce sont les robots et les poupées sexuelles dont la technologie permet l’existence qui soulèvent des débats éthiques.

Selon les détracteurs de cet usage singulier de la robotique « les robots poseraient de grands risques, surtout en ce qui a trait aux relations entre humains. Les personnes qui utiliseraient les robots sexuels, pour un accompagnement sexuel ou émotif, ne le rechercheraient plus ensuite du côté des humains. L’utilisation prolongée des robots diminuerait aussi l’aptitude individuelle et collective à l’empathie et à la compassion. Les parallèles entre les robots sexuels et le travail du sexe exacerberaient les iniquités de genres », comme les chercheurs Nina Rothstein, Dalton H Connolly, Ewart de Visser et Elizabeth K Phillips l’ont exprimé lors de la conférence Perception of Infidelity, en mars dernier. 

À la table de ses parents

Depuis deux ans, David*possède une poupée sexuelle. « Certains choisissent de s’acheter une auto, moi j’ai choisi de me faire vraiment plaisir, raconte-t-il. J’aime la solitude, mais j’étais frustré sexuellement. » Pendant un certain temps, pour pallier ses besoins sexuels, il rencontrait des escortes dans des hôtels. « Mais je n’aurais pas pu continuer comme ça indéfiniment, parce que mon revenu n’est pas suffisant. J’ai décidé de faire appel à une entreprise qui personnalise des poupées sexuelles. » 

Sur les réseaux sociaux, David expose fièrement des photos de sa compagne, surnommée Lila. « J’écoute de la musique avec elle. Je ne fais pas qu’avoir des relations sexuelles. Elle est attentive à tout ce que je lui dis, souligne-t-il.  Je n’ai jamais vécu avec personne, avant Lila. » 

David a vraiment créé tout un monde autour de sa poupée. « Je répète souvent que c’est comme un jouet de notre enfance. Avec des Legos, il est possible de créer un univers et d’y croire. Je fais pareil avec Lila. Elle n’aime pas quand je la laisse seule pour regarder la télévision. Par contre, elle apprécie le vent frais et les massages. » 

Ses parents acceptent la poupée dans les repas familiaux. « Je les invite à discuter avec elle. Ils ne l’ignorent pas. Je lui fais goûter à mon assiette », explique celui qui n’éprouve aucune envie de rencontrer une véritable femme.

Libération sexuelle

Élisabeth Mercier, professeure adjointe au département de sociologie à l’Université Laval, rappelle que « le rapport entre la sexualité et la technologie a toujours été vu comme suspect, parce que les technologies démocratisent l’accès aux représentations de la sexualité pour des groupes jugés vulnérables ». 

Au journal Libération, la sexologue Michelle Mars prétend quant à elle que les robots, plutôt que de pervertir les rapports, vont bouleverser positivement la sexualité. « Les robots vont nous apprendre à comprendre nos excitations, et ce processus de libération personnelle sera bon pour tout le monde. » 

En s’affranchissant de l’impératif social et biologique de la procréation et de l’hétéronormativité de jadis, la sexualité moderne permet à plusieurs de vivre plus librement leurs désirs sexuels.  « Ce processus d’émancipation trouve une continuité avec l’intégration récente de technologies érotiques dans la vie de milliards de personnes partout au monde, ce qui favorise l’émergence de nouvelles pratiques, préférences et identités », écrivent les chercheurs Nicola Döring et Sandra Poeschl-Guenther, dans l’étude Sex toys, sex dolls, sex robots: Our under-research bed fellows, publiée en 2018, dans le journal Sexologies.

Lutter contre la solitude

Dans son ballado Butterfly Effect, le journaliste Jon Ronson présente l’aspect plus thérapeutique des poupées sexuelles, par exemple, dans une situation de deuil. À son micro, James raconte être tombé follement amoureux de Darlene au début de l’âge adulte. Mais celle-ci rompt leurs fiançailles, sans explications, du jour au lendemain. 

Vingt ans plus tard, James apprend le décès de Darlene, puis, en 2015, un ami lui envoie un lien Internet. « J’ai pensé avoir une crise cardiaque. C’était comme regarder Darlene, après toutes ces années, sans qu’elle n’ait vieilli. »  Il n’a pas hésité à commander la poupée sexuelle à l’image de son amour de jeunesse, baptisée aujourd’hui April.  

Briser les inégalités

Pour la bioéthicienne Nancy S. Jecker, interviewée par Vice, les poupées et les robots devraient être plus égalitaires. Elle suppose que les jeunes hommes hétérosexuels sont ciblés, mais elle signale un besoin de réimaginer ces produits pour les femmes, les personnes plus vieilles, celles avec un handicap ou une orientation sexuelle plus marginale. 

« Les personnes âgées sont moins agiles, ont des os plus poreux et moins de masse musculaire. Pour ces raisons, il est important que les manufacturiers créent des robots sexuels qui minimisent les risques de blessures », argue celle qui prône plus d’inclusion dans la fabrication des jouets sexuels.

La technologie permettrait aux personnes limitées psychologiquement ou physiquement d’explorer leur sexualité dans un environnement sécuritaire, selon l’étude Sex care robots, publiée en 2020 dans le journal Paladyn. Des robots comme Rocky ou Roxxxy peuvent imiter des mouvements sexuels de va-et-vient, qui ne demandent pas à l’utilisateur de bouger. Certaines poupées et robots peuvent aussi satisfaire des besoins reliés davantage à une dimension intime que sexuelle. Emma réagit au toucher, son corps se réchauffant au contact d’autrui. 

Les chercheurs Fosh-Villaronga et Poulsen soutiennent que les femmes atteintes d’un handicap demandent davantage d’être embrassées pour se sentir bien. Les modèles de Realldoox peuvent ainsi imiter des baisers passionnés. « Les robots peuvent représenter à la fois un support émotionnel et un accompagnement sexuel », avancent les scientifiques.

L’acceptation des robots sexuels s’accroît dans la société, malgré tout. Les achats se démocratisent; les femmes et les hommes homosexuels participant de plus en plus à cette exploration technologique intime. Alors, robots sexuels, menace ou progrès social?

*Le nom de David a été changé pour préserver son anonymat

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